Manger simplement pour que d’autres puissent simplement manger !
Traduire son espérance peut se faire en prière et louange. Cela peut aussi induire des gestes et des actions concrètes. Le festival Terre d’espérance organisé par la région parisienne réformée le 4 mai prochain a cette vocation de partager les pratiques et les idées pour la Terre, lieu d’espérance pour le vivant.
Notre modèle alimentaire est fondamental car la cuisine et l’alimentation ont une place centrale dans notre vie familiale et sociale, comme dans la réputation de notre pays. Le classement du « repas gastronomique français » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en témoigne.
Le modèle alimentaire français est à la fois fondamental et problématique
L’agriculture marque également nos paysages ; nos industries, artisans et commerces agro-alimentaires sont pourvoyeurs d’emploi dans les territoires ; le secteur contribue positivement à la balance commerciale – même si les échanges avec les pays de l’UE sont devenus déficitaires depuis 2015.
Mais ce modèle est problématique à divers titres : notre alimentation est trop riche, trop transformée, déficitaire en fibres ; le secteur pèse lourdement sur la biodiversité et le climat ; nous gaspillons en Europe chaque année près de 300 kg de denrées agricoles par personne, dont un tiers à la consommation. Nous consacrons de moins en moins de temps à cuisiner : à peine une heure par jour en moyenne contre près de cinq heures devant des contenus audiovisuels. Un jeune sur cinq ne reconnaît pas une courgette en photo et ils sont de moins en moins nombreux à savoir préparer une simple vinaigrette.
Sous la « solidarité paysanne », une grande diversité de situations
Le risque de suicide des agriculteurs est supérieur de 40 % aux autres métiers. La souffrance de certains est immense et s’accroît du fait de la conscience qu’ils ont de l’impact de leur activité sur une biodiversité qui leur est proche et particulièrement chère. Mais il existe une très grande disparité des modèles agronomiques et économiques d’exploitation.
Si certains agriculteurs sont des entrepreneurs dynamiques, experts des cours internationaux des denrées et investissant dans le numérique ou les énergies renouvelables, d’autres, malgré leur travail acharné, sont en situation objective de pauvreté, étranglés par les demandes des industriels. Aujourd’hui la filière bio, qui s’était développée depuis les années 1990, est en recul. Des producteurs passés par conviction aux alternatives aux pesticides sont tentés de reculer devant les difficultés techniques – et donc économiques : il faut en effet des années pour rétablir les dynamiques naturelles des agrosystèmes et ils sont insuffisamment soutenus financièrement dans ces transformations.
En parallèle, certains producteurs résistent, par facilité intellectuelle peut-être, aux avertissements de lanceurs d’alerte, comme René Dumont, Marc Dufumier et même Edgard Pisani sur la fin de sa vie, sur la nécessité impérieuse de sortir du productivisme. Souvent très impliqués dans les lieux de décision du secteur comme dans les collectivités locales rurales, ceux-là prennent appui sur les difficultés objectives de la transformation pour défendre à tout prix un système qui les avantage personnellement – pour le moment. Il leur est facile de galvaniser les troupes en utilisant des boucs émissaires contre lesquels tout le monde paysan ressent la nécessité de présenter un front uni : réglementation, industries et grande distribution, écologie… Mais cela va-t-il encore longtemps cacher le fait que cette supposée solidarité sert aussi et peut-être avant tout les intérêts de quelques-uns, et non ceux de la filière, au détriment de ceux qui développent d’autres modèles de production ?
Regarder les chiffres en face
En France, le secteur agricole représente 19 % des émissions globales de gaz à effet de serre (GES), hors denrées importées qui pèsent beaucoup dans la balance économique et alimentaire et sont très émettrices de GES. Ce chiffre est en baisse de 12 % depuis 1990 ; c’est le second secteur émetteur après celui des transports (32 % des émissions, en hausse de 5 %). À l’échelle des ménages, l’alimentation représente environ un quart des GES. Après les transports, c’est le poste le plus important sur lequel nous pouvons agir directement. Dans notre budget, l’alimentation pèse 20 % (contre 40 % dans les années 1950) et les denrées agricoles brutes ne représentent que 5 % de nos dépenses. Les légumes frais, par exemple, pèsent 1 % seulement de nos achats totaux. Moins cher que nos forfaits téléphoniques. Pouvons-nous, dans ces proportions, supporter des prix plus élevés pour soutenir des modèles de production et de distribution plus vertueux ?
Changer de modèle alimentaire est un processus extrêmement complexe, qui nécessite des transformations de tous les acteurs à tous les niveaux et coûte quelque chose. C’est un fait. Pour autant, pouvons-nous nous en dispenser ? C’est justement parce que c’est long, difficile et coûteux qu’il faut nous y mettre le plus vite possible. Et, objectivement, sans être facile, c’est possible. Certes les agriculteurs doivent faire évoluer leurs pratiques – la plupart le font – les entreprises de transformation doivent réduire leurs émissions – elles le font aussi – des changements systémiques doivent être envisagés, mais le consommateur a aussi un rôle à jouer. Ainsi, la prospective Agrimonde-Terra (Inrae-Cirad) se conclut sur cette affirmation : « Des modifications de l’offre et de la demande sont nécessaires pour une transition vers des régimes diversifiés et sains et la réduction des pertes et gaspillages. »
Un nouveau contrat social avec les agriculteurs
Résumant une opinion plusieurs fois exprimée lors des débats récents sur l’agriculture, Vincent Wahl, animateur du groupe de travail « Éthique » du réseau Espérer pour le vivant, écrit : « Un nouveau contrat social avec l’agriculture est requis, qui prenne en compte la nécessité de changements systémiques, en France comme au niveau mondial, mais qui n’en fasse pas porter le poids aux producteurs seulement. » Nicolas Bricas, socio-économiste du Cirad, précise : « Il nous faut sortir d’un contrat social qui a cherché à faire l’alimentation la moins chère possible. »
Il n’y a pas de solution miracle, ni de modèle unique. La transition demande des efforts, de la lucidité (une tomate hors saison émet dix fois plus de CO2 qu’une tomate de saison) et de la solidarité pour sortir de l’impasse. Nous avons à dépasser des blocages qui ne sont pas seulement techniques et financiers : à quelles conditions sommes-nous prêts à faire évoluer notre modèle de société, et notamment notre modèle agricole, sans le vivre comme une régression sociale ? Tout est question de ce dont nous rêvons, de ce que nous percevons comme juste, désirable.
Or nous avons tout à gagner à cette transition alimentaire, et d’abord pour notre santé. En effet, selon la FAO, passer de notre régime alimentaire actuel à des quantités faibles à modérées de tous les aliments d’origine animale mais sans les exclure nécessairement, permettrait déjà de diviser par dix les coûts de santé publique liés à l’alimentation. Obésité, diabète, cardio vasculaire...
Pourquoi cette question concerne-t-elle l’Église ? Parce que c’est in fine un enjeu de solidarité avec le monde. On attribue à Gandhi cette citation reprise en 1975 par l’agronome et théologien Charles Birch à l’Assemblée du COE de Nairobi : « Les riches doivent vivre plus simplement pour que les pauvres puissent simplement vivre. » En 2050, si nous n’avons pas changé profondément de modèle alimentaire, nous vivrons nous-mêmes en moins bonne santé et d’autres, aux Sud, manqueront du nécessaire. Ils sont nos prochains.
En savoir plus
Pour parler de ce sujet et de beaucoup d’autres, venez nombreux et en famille à Terre d’Espérance, le festival protestant du 4 mai dans le parc du temple de Boissy-Saint-Léger (RER A, 35 min depuis Gare de Lyon).