Ambiguïté construite

Violence patriarcale et violence sexuelle

01 février 2018

Des figures féminines de l’Ancien Testament sont souvent ignorées, oubliées ou discrètement tues, notamment pour les questions qu’elles posent sur la violence de la société patriarcale envers les femmes et les divers abus dont elles sont victimes.

 

Les textes de l’Ancien Testament sont issus d’une société patriarcale et marquée par l’idéologie royale, impliquant la vision d’un monde où les relations entre égaux sont peu présentes. Le modèle de base est celui du roi avec ses vassaux où le plus fort doit protection au plus faible et en retour le plus faible doit obéissance à son seigneur. S’y ajoute la division des genres : les forts sont les mâles, les faibles les femmes. C’est aussi sur ce modèle que se conçoivent les relations au sein de la famille et du couple. Mais ces textes présentent aussi les femmes comme celles par qui du nouveau va arriver, pour penser les choses autrement, dénoncer une situation sans issue et affirmer que l’on peut transformer une situation d’oppression en libération. Ambigus, les textes oscillent entre le statu quo et la transformation radicale. Deux exemples.

 

Sans renier la tradition, le lecteur doit réinterpréter sans cesse (© pixabay)

Sarah et Hagar

En Genèse 16.1-15, Sarah la maîtresse utilise les lois à sa disposition, permettant de donner une esclave pour assurer des enfants à une maîtresse de rang royal. Sa main opprime la servante égyptienne : le verbe signifiant opprimer, maltraiter apparaît trois fois pour dire la souffrance subie par Hagar. Or, ce même verbe est utilisé pour décrire l’oppression du peuple hébreu en Égypte.

Hagar, comme le peuple hébreu de l’exode, opte pour un départ au désert. Elle commence un exode en sens inverse : le messager va la trouver sur la route de Shour, qui mène en Égypte. Et au désert, elle va rencontrer Dieu. Hagar devient l’interlocutrice de Dieu dans ce qu’on peut qualifier comme le premier récit d’annonciation de la Genèse.

 

La fille de Jephté

En Juges 11.34-40, Jephté, le père parti en guerre, fait un vœu. S’il gagne, il sacrifiera la première personne sortant à sa rencontre au retour. Or c’est sa fille qui l’accueille et qui acceptera d’être sacrifiée après avoir passé deux mois dans la montagne avec ses compagnes pour pleurer sur sa virginité. La conduite si obéissante de cette fille représente un comportement attendu, mais dans le cadre d’une situation totalement inattendue : elle pourrait être une remise en cause de l’idée de l’obéissance totale au père.

Cette fille seule, qui n’a pas de nom, pas de mère, une grand-mère prostituée, agit en élargissant tout ce que son père s’entête à rétrécir. La fille de Jephté paye de sa vie la volonté de son père de rester le maître des mots et de sa destinée, lui qui va l’empêcher de vivre sa vie de femme en la tuant vierge et sans descendance. Mais sa mort sans descendance deviendra une mémoire qui mobilisera les filles d’Israël. Cette fille qui meurt avant son père, héritière sacrifiée au nom de l’héritage, a finalement plus d’avenir que lui. D’objet de sacrifice, elle devient sujet de mémoire.

 

Au lecteur de choisir

On pourrait évoquer bien d’autres figures féminines victimes et/ou protagonistes d’une libération : les deux Tamar, la concubine du lévite, Dina, Ruth… Aujourd’hui encore ces textes sont lus soit dans le sens de la justification d’une oppression, soit dans le sens de la critique de cette oppression vers une libération. C’est au lecteur, à la lectrice, selon le monde qu’il se représente, de choisir.

 

Corinne LANOIR,
professeure d’Ancien Testament, Paris

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