Histoire

Villefavard-Terre de culture(s)

01 avril 2017

Connaissez-vous la Basse-Marche ? Vous l’avez probablement déjà frôlée. Car il y a des régions qu’on ne fait que traverser. Ainsi, l’autoroute A20 longe la Basse-Marche dans le sens nord-sud, et la E62 la marque dans le sens est-ouest. En voiture, quelques panneaux indicateurs renvoient vers la vallée de la Semme et de la Gartempe, un agréable cours d’eau.

Les peintres impressionnistes du XIXe siècle étaient d’ailleurs de cet avis : un passage de la Gartempe porte le nom de « Site Corot ». C’est néanmoins une région qui a, aujourd’hui encore, des atouts qui valent un arrêt. Loin de tout passéisme naturaliste, en plein milieu de cette terre de pâturages, il y a des signes de vivacité.

Les initiateurs du projet

En Limousin, la perte démographique est omniprésente. Mais là, dans un village de moins de 200 habitants, la Ferme de Villefavard pose des accents nouveaux. C’est une drôle de culture qui s’y pratique : un des visuels de la Ferme représente bel et bien des moutons qui paissent, mais… Quand vous vous renseignez, vous trouverez d’un côté un lieu de musique estival… comme tant d’autres qui s’épanouissent en été.

Mais loin de retomber dans un sommeil de Belle endormie en hiver, la Ferme reste un lieu de culture toute l’année. C’est un lieu de concerts, mais également un lieu de résidence et d’enregistrement. La Ferme de Villefavard reprend ainsi l’intuition première de ses constructeurs.

 

Le site internet de la Ferme indique qu’en 1882, Édouard Maury (1858-1914) est nommé pasteur à Villefavard. Il y arrive avec sa femme Sophie, née Monnerat, une famille suisse fortunée. Le couple fera construire d’abord une résidence d’été au lieu dit La Solitude, puis une Ferme-modèle et un temple protestant dans le bourg. Dans cette région pauvre du Limousin, la Ferme est alors une exploitation d’avant-garde, destinée à donner l’exemple d’une rationalisation de l’exploitation agricole. Dans sa nouvelle résidence, la villa La Solitude, il accueillera artistes peintres, graveurs et musiciens. Il y installera un orgue Cavaillé-Coll, classé monument historique et qui se trouve dans le temple depuis 1947.

 
Le temple de Villefavard
© Angelika Krause

Le temps de l’élargissement

Leurs deux filles ont continué la tradition de mécénat social et artistique commencé par leurs parents. Geneviève (1886-1956) a épousé le chef d’orchestre Charles Münch ; comme traductrice, elle contribue à faire connaître Hermann Hesse et Thomas Mann en France. Juliette Ebersolt (1889-1982), violoniste, a continué cette œuvre culturelle. Elle a initié un grand nombre d’enfants du village à la musique, et les a réunis au sein d’une chorale qui se produira chaque année avec d’autres musiciens invités. En 1947, date des 100 ans de la paroisse protestante, elle inaugure au temple la série des concerts de Villefavard qu’elle organisera pendant vingt ans, prenant à sa charge la venue de jeunes musiciens primés et de professionnels confirmés.

Parallèlement, se crée l’Association des amis des concerts de Villefavard destinée à soutenir et à promouvoir cette action culturelle déjà fortement ancrée dans le territoire. En 2001, sous l’égide du chef d’orchestre Jérôme Kaltenbach, l’un des petits-fils de Juliette Ebersolt, cette manifestation se déplacera dans la grange à blé de laFerme-modèle. Elle était alors utilisée comme atelier par un autre descendant de la famille, l’architecte inventeur Gilles Ebersolt. Il y a conçu le prototype du Radeau des Cimes. C’est le nom d’expéditions scientifiques concernant la biodiversité de la forêt. À partir de 1986, elles ont eu pour objectif d’explorer la cime des grands arbres des forêts tropicales. Francis Hallé, professeur de botanique, Dany Clayet-Marrel, pilote de montgolfière et Gilles Ebersolt, architecte, ont mis au point une structure gonflable, très légère, que l’on peut poser à la cime des grands arbres des forêts primaires de la planète : la canopée.

L’arrivée de personnes extérieures au village a ainsi dynamisé la vie de la région. Mais qu’est-ce qui avait fait arriver ces ressources dans la contrée ? Être philanthrope ne suffit pas pour faire éclore des potentialités. Et c’est là une des particularités de la Basse-Marche.

Le sociologue Jean Baubérot* décrit la situation initiale dans son exposé à l’occasion des 150 ans de l’implantation du protestantisme en Basse-Marche. Nous nous trouvons devant une manifestation d’autonomie religieuse paysanne. Il y a bien conflit entre un système d’emprise religieuse institutionnelle et une pratique religieuse populaire. Tout commence avec les événements liés à la Constitution civile du clergé. Les révolutionnaires avaient obligé les prêtres des villages à la signer. En 1791, le curé de Villefavard, qui avait signé la Constitution civile du clergé, se rétracte après la condamnation de celle-ci par le pape. Les habitants le chassent.

L’arrivée du protestantisme

Dans les années 1830 s’implantent, dans le village, des représentants de la nouvelle Église catholique française, indépendante de Rome. Un premier prêtre, l’abbé Reb, chante la messe en français dans l’église du bourg. Elle appartient, depuis la révolution, aux 130 villageois. L’abbé a du succès dans tout l’arrondissement de Bellac et devient… évêque de son Église ! L’administration fait pression et il doit quitter Villefavard. Le village fait de nouveau appel à un prêtre de l’Église catholique française. Mais cette confession gallicane n’est pas une religion reconnue. Interdite par le gouvernement, son nouveau représentant local, l’abbé Lhotte, se convertit au protestantisme. Il entraîne une conversion populaire collective. La voie est ouverte à la création, quelques années plus tard, de l’actuelle paroisse de l’Église protestante réformée.

Durant les années mouvementées, c’est tout le système de la liberté religieuse qui est mis en émoi. Car l’Église réformée, reconnue par l’état, ne souhaite pas se compromettre quant aux troubles religieux en Basse-Marche. Des cercles du Réveil néanmoins, centrés autour de Paris, se sont laissés émouvoir : le pasteur Napoléon Roussel fera une campagne fructueuse de prédication en Limousin. Malgré les pressions contre le culte protestant et l’instruction religieuse, des comités de soutien jusqu’en Angleterre ont défendu la cause de la liberté religieuse en Basse-Marche. Et après bien des péripéties, le protestantisme s’y implante durablement.

À votre prochain passage, prévoyez une vraie halte en Basse-Marche. Découvrez l’église romane du bourg qui accueillait les prêtres/évêques novateurs. Puis promenez-vous au bord de l’étang et jetez un regard sur la Ferme.

Mais vous pouvez également déguster d’autres pans de culture : ainsi vous trouverez à Châteauponsac le musée René Baubérot. Il relate des fouilles archéologiques d’une villa romaine ; il est également témoin d’une recherche et documentation ethnographique par Paul Schweitzer. Il propose plusieurs parcours pour une visite en famille.

Photo : Appelé aussi radeau des cimes, cet engin permet à des équipes de scientifiques de travailler sur la photosynthèse © Angelika Krause

En savoir plus

*Protestantisme en Basse-Marche : 150 ans de témoignage, auto-édition à l’occasion des Journées de commémoration 1995

Angelika Krause

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