Dossier Veuves et veufs

Veuves et veufs dans la Bible

05 novembre 2018

Dans l’ouvrage du Père de Vaux, Les Institutions de l’Ancien Testament, sur les 60 pages consacrées aux institutions familiales, une demi-page seulement est consacrée aux veuves, et aucune aux veufs. Pourtant, les veuves sont très souvent nommées dans la Bible, tant dans les textes législatifs que narratifs. Ils ne cachent rien de leur situation difficile, en lien avec leur statut d’inférieures dans la société et dans la religion.  Mais ils évoquent aussi des femmes audacieuses, qui bravent les tabous et les interdits.

Ruth quitte son pays pour suivre sa
belle-mère@Wikimedia.org

Si les veufs ne sont pas mentionnés par le Père de Vaux, dans son livre magistral, cela n’est pas très étonnant. Aucun personnage de la Bible n’est présenté comme veuf. Cela peut s’expliquer de plusieurs façons. Comme aujourd’hui, l’espérance de vie des femmes devait être plus élevée que celle des hommes. Les veuves étaient donc plus nombreuses. En cas de polygamie, celui qui avait plusieurs épouses pouvait en perdre une et être en deuil sans devenir pour autant veuf. D’autre part, il semble que les veufs se remariaient assez couramment. Abraham, par exemple, après la mort de Sarah, a pris pour femme (ou concubine ?) Qetoura (Genèse 25,1). Enfin, il y a peu à dire sur le statut social des veufs et leurs conditions de vie économique, car leur veuvage ne changeait pas grand-chose pour eux.

Et les veuves ?

Les codes de lois et les écrits des prophètes indiquent que la situation des veuves était difficile (Exode 22,21 ; Deutéronome 10,18 et 16,11 ; 24, 17-22, 26,12-13 et 27,19). Le cas des veuves est presque toujours cité en même temps que celui des orphelins et des immigrés, avec parfois rappel du fait que le peuple a connu la détresse en Égypte.

L’image de ces quelques veuves est positive. Elles font face, avec détermination et ouverture aux autres et à Dieu

Parmi les recommandations et récriminations des prophètes, on peut citer les injonctions d’Esaïe (1,17.23) qui, après avoir évoqué le droit des orphelins, parle de la défense de la veuve. Jérémie de son côté déclare : « N’exploitez pas l’immigré, l’orphelin et la veuve » (7,6). Ézéchiel, lui, dénonce l’exploitation de l’orphelin et de la veuve (22,7), comme Zacharie (7,10). Dans la liste de ses actions bonnes dressée par Job dans le chapitre 29, il cite, après avoir parlé des pauvres et des orphelins et des mourants qu’il assiste, les veuves à qui il rendait la joie du cœur (29,13). Enfin, à la fin du Psaume 146, c’est le Seigneur lui-même qui soutient l’orphelin et la veuve.

Judith, figure d'une femmequi prend son destin
en main et celui de son peuple@wikimedia.org

Un statut inférieur

Il y avait donc une conscience de la condition difficile des veuves, principalement pour des raisons économiques, mais qui découlait aussi du statut général inférieur des femmes, particulièrement défavorable aux femmes seules. Elles dépendent toujours d’un homme, leur père puis leur mari. Quand elles sont veuves, elles n’héritent pas de leur mari, sauf en l’absence d’un héritier mâle. Elles restent attachées à leur belle-famille (ne serait-ce que par les règes du lévirat qui prévoyait qu’une veuve soit mariée au frère du décédé, cf. Deutéronome 25) ou elles retournent dans la famille paternelle où elles dépendent de leur père (Lévitique 22,13). Quand il n’y a plus ni famille ni belle-famille, la situation de ces femmes peut être catastrophique. Les textes narratifs cependant montrent que certaines veuves prennent leur destin en main. La veuve de Sarepta, par exemple, est très pauvre mais elle accueille, loge et nourrit le prophète Élie. Elle sait aussi le solliciter fermement quand son fils tombe gravement malade (1 Rois 17,8-24). Le livre de Ruth, quant à lui, présente l’histoire de trois veuves, Noémi et ses belles-filles Orpa et Ruth qui habitent au pays de Moab. Noémi prend son destin en main, en retournant dans son pays d’origine, dans la tribu de Juda et Ruth fait un choix décisif, contre les habitudes, en quittant son pays d’origine et en suivant sa belle-mère. Elles luttent contre leur dénuement et agissent pour trouver place et sécurité matérielle dans la famille de Noémi. Toute l’histoire est racontée avec l’idée que ces deux femmes ont confiance dans le Seigneur.

La veuve de Naïn réclame la résurrection de
son fils par James Tissot@wikimedia.org

Faire face avec détermination

Parmi les évangélistes, c’est Luc qui présente le plus de veuves dans ses récits. Il est le seul à parler de la prophétesse Anne, âgée de 84 ans et veuve depuis longtemps (Luc 2,36-39). Après Syméon, elle accueille Jésus et ses parents au temple de Jérusalem et elle est la première à parler de Jésus autour d’elle. On ne sait rien de ses conditions de vie sinon qu’elle est marquée par les jeûnes et les prières. On ne sait rien non plus de la situation matérielle de la veuve de Naïn qui s’apprête à enterrer son fils unique. Le récit laisse entendre que la solitude dans laquelle elle devra vivre sera lourde, sans doute sur le plan relationnel et sur le plan matériel. Les entrailles de Jésus en sont remuées (Luc 7,11-17). Dans la parabole du juge qui se fait prier longtemps (Luc 18,1-8), la veuve qui peine à obtenir justice est certainement en difficulté matérielle à cause des agissements d’un malhonnête. Cela ne l’empêche pas de lutter. Quant à la veuve qui met deux toutes petites pièces dans le tronc du temple de Jérusalem (Luc 21,1-4), il est évident qu’elle est très pauvre. Son geste simple et humble révèle une personnalité forte et admirable. L’image de ces quelques veuves est positive. Presque toutes en difficulté sociale et matérielle, mais ne sont pas passives ; elles font face, avec détermination et ouverture aux autres et à Dieu. Cette image positive se trouve encore dans la Première Lettre à Timothée (5,13-16). Les veuves âgées et sans charge de famille ont dans la communauté un ministère reconnu. Elles persévèrent nuit et jour dans les supplications et prières, exercent l’hospitalité, lavent les pieds des membres de la communauté, assistent les affligés et sont appliquées à toute bonne œuvre. Elles forment un groupe bien repérable. Les jeunes veuves, elles, sont priées de se remarier !

Aujourd’hui ?

Que retenir de L’ensemble des données bibliques sur les veuves ? Il me semble que la fragilité des veufs et des veuves est malheureusement encore très actuelle. De même, les veuves ne sont-elles pas encore victimes des inégalités entre femmes et hommes ? Peut-être même sont-elles victimes plus qu’autrefois de la solitude ? Mais, malgré cela, elles étaient est restent, pour une grande part d’entre elles, admirables d’énergie et de courage.

En savoir plus

La Bible évoque en creux les situations difficiles des veuves

En Exode 22,21, on lit après qu’il ait été question des émigrés : « Vous ne maltraiterez aucune veuve ni aucun orphelin ». Suit une menace de mort qui amènerait les femmes et les enfants des contrevenants à devenir respectivement des veuves et des orphelins. Deutéronome 10,18 indique que « Dieu rend justice à l’orphelin et à la veuve et aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau ». Plus loin, au chapitre 16 verset 11, l’Israélite est invité à célébrer la fête des Tentes dans la joie, avec toute sa famille, y compris avec le lévite, l’émigré, l’orphelin et la veuve du village. Il est interdit de prendre en gage le vêtement d’une veuve, elle a droit à une part de la dime, droit de glanage et on doit respecter tous ses droits (Deutéronome 24,17-22, 26,12-13, 27,19).

Olivier Pigeaud,
Pasteur à la retraite.

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