Le monastère de Bose en Italie

Une fraîcheur bienfaisante

30 novembre 2018

Bose, c’est un microhameau posé sur une campagne verdoyante, à cinquante kilomètres au nord de Turin, pas bien loin des vallées vaudoises. Cette oasis œcuménique retient des moines, des moniales et des visiteurs, qui trouvent là une autre respiration. Trois protestants vivent dans cette communauté originale fondée par Enzo Bianchi. Nous les avons rencontrés.

 

Sœur Sylvie n’est pas d’un âge canonique, mais elle peut faire figure d’ancienne. Plus de 30 ans de « maison »… « J’ai su tout de suite que Bose était le lieu où j’avais ma place. C’est ici que j’ai trouvé la lecture de la parole de Dieu la plus ouverte, la plus libre… C’était important, pour moi. » Ils sont 3 protestants dans une communauté d’environ 80 membres (sur différents sites), dont 55 à Bose même. Sylvie est camarguaise. Éducatrice spécialisée dans une vie antérieure, elle a tout lâché et n’a jamais regretté son choix. Elle a œuvré au potager, puis dans le secteur des tisanes. Elle tisse, parfois. L’accueil et le service font aussi partie de son emploi du temps, comme pour les autres membres de cette communauté, qui ne reçoit ni subventions ni dons. C’est le travail et la vente (art et artisanat, produits alimentaires, livres et CD émanant du monastère) qui ont permis de concrétiser les projets de reconstruction et d’agrandissement du fondateur : les fermes en ruines des années 60 se sont muées peu à peu en un ensemble de bâtiments à la fois beaux et confortables.

La communauté, à Bose : hommes et femmes (© Monastère de Bose)

 

Frères et sœurs

C’est juste après Vatican II, en 1968, qu’Enzo Bianchi, jeune catholique enthousiaste, s’est lancé dans la création de cette « communauté nouvelle », avec deux ou trois amis. Des critiques contre Bose (trop protestant !), il y en a toujours eu, mais aussi des soutiens officiels de la part de l’Église catholique, pour cette vision courageuse d’une communauté mixte et intrinsèquement œcuménique. On pourra dire que le nombre de protestants engagés n’a pas de quoi gêner… Sylvie insiste pourtant sur cet œcuménisme qui n’est pas une option, mais qui a été pensé dans la structuration même de la vie communautaire.

Autre caractéristique : hommes et femmes partagent les tâches du quotidien et la vie liturgique. Le chant, les lectures bibliques, la prédication, la diffusion de l’encens, la distribution de l’eucharistie le dimanche… D’ailleurs, les protestants se sentent plus libres qu’ailleurs de prendre part à cette Cène ! Ce qui frappe, c’est ce face à face masculin-féminin, avec beaucoup de visages jeunes. Trois fois par jour, les psaumes et les hymnes en italien se suivent sur des mélodies chantées à plusieurs voix, portées par des tonalités chaleureuses. Rien de désincarné ici ! Une fois hors de l’église, les frères et sœurs ont quitté la coule (ample robe liturgique blanche) et apparaissent en « civil », sans signes distinctifs. On remarque chez eux une certaine fraîcheur des attitudes, une spontanéité de la parole.

De jeunes Italiens investissent l'hôtellerie (© SD)

 

Une présence disponible

Frère Daniel, pasteur suisse, entrait dans la communauté il y a 50 ans exactement ! Il est un des tout premiers, mais a passé 35 ans de sa vie à Jérusalem, dans une des maisons créées par Bose. « Dès 10-12 ans, je voulais sortir des caricatures sur les catholiques et montrer qu’on pouvait vivre ensemble en chrétiens. » Il raconte les débuts : la présence de femmes, du coup cette perspective de mixité… L’œcuménisme, qui n’était pas prévu… Deux dimensions qui se sont très vite imposées. « Les théologiens travaillent et avancent… Si seulement les responsables d’Églises les écoutaient un peu plus ! » Chaque année, le monastère organise un colloque avec les patriarcats orthodoxes de Moscou et Constantinople. Et tous les deux ans se tient à Bose un rassemblement sur la spiritualité protestante, en lien avec les facultés de théologie. Sans compter des sessions bibliques, chaque été, avec des spécialistes de différentes confessions.

Le troisième protestant est également suisse romand ; c’est lui qui a traduit les livres d’Enzo Bianchi ces dernières années. Frère Matthias, homme jeune et vif, fait partie du Groupe des Dombes. Très à l’aise à Bose et dans sa culture protestante, il travaille sur la dimension musicale des offices. Lui aussi évoque la priorité de l’accueil : « Nous ne voulons pas seulement héberger les personnes, mais les rencontrer, être disponibles pour les échanges, activement présents aux repas, midi et soir. » Cette présence est effectivement sensible dans la convivialité de l’espace communautaire, qui ne comporte pas de clôture stricte.

Tous les jours arrivent de nouveaux retraitants (© SD)

 

D’autres pages à écrire

Ici, chacun des futurs moines et moniales passe par 4 ans de noviciat, puis 3 ans encore, avant de s’engager officiellement. Les décisions se jouent entre le chapitre (l’ensemble des personnes engagées), le fondateur et la règle de vie. Si les visiteurs viennent du monde entier, les membres de la communauté sont très majoritairement italiens et catholiques. Les vaudois italiens ne sont-ils donc pas intéressés par un tel lieu ? Sœur Sylvie répond : « Les Valdensi ? Non, la relation à la culture catholique italienne est encore trop exacerbée. Mais il y a des groupes qui aiment ce lieu et qui viennent... »

Un nouveau prieur, Luciano Manicardi, a été élu en janvier 2017, succédant donc au fondateur. La presse s’en est fait l’écho. Après 50 ans d’une aventure pionnière, l’empreinte d’Enzo Bianchi dans ce projet de vie reste évidemment forte et il faudra sans doute quelques années à la communauté de Bose pour trouver le nouveau rythme de sa navigation. Souhaitons-lui un long cours encore, au moins pour le bienfait qu’elle offre !

En savoir plus

À lire :

Une vie simple, d’Alexis Jenni et Nathalie Sarthou-Lajus, Albin Michel, 2017, 202 p., 15 €.

Séverine DAUDÉ,
journal Échanges

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