Cap au large

Un voyage à travers l’espace et le temps

01 mars 2017

Un couple de paroissiens de Poitiers et deux de leurs amis sont partis en Iran en septembre. Ils ont rejoint un groupe de vingt personnes venues de toute la France et de Belgique pour une découverte culturelle associée à un cheminement spirituel.

Le projet de visiter l’Iran a suscité quelques réticences : Comment ! Vous partez dans un pays où les femmes doivent porter le voile ! Dans la république islamique des ayatollahs et des fatwas ! Mais l’attirance fut la plus forte pour cette terre autrefois appelée la Perse et sa culture fascinante. Ce voyage de quinze jours était organisé par Terre entière sur le thème Sagesse persane et religions d’Iran, il était accompagné par le pasteur Michel Magnin, ancien élève de l’École biblique et archéologique de Jérusalem, spécialiste du Moyen-Orient.

L’importance du zoroastrisme

Ayant atterri à Tabriz, au nord-ouest de l’Iran, non loin de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, nous sommes progressivement descendus vers le sud jusqu’à Persépolis et Shiraz : environ 2 500 kilomètres sur des hauts plateaux à plus de mille mètres d’altitude, d’un brun ocre en ce début d’automne. Sur les flancs des reliefs, des restes de chaume, de rares villages protégés par de hauts murs de pisé, quelques troupeaux de moutons, un univers inchangé depuis la nuit des temps. Pourtant le monde moderne fait brutalement intrusion à proximité des villes qui dépassent pour beaucoup le million d’habitants : autoroutes, centres commerciaux, industries diverses, constructions dépareillées. Après les steppes semi-désertiques, les centres-villes surprennent par l’abondance des arbres, des fleurs, le vert des pelouses, les jets d’eau, de véritables oasis.

Persépolis : disque solaire ailé, symbole du dieu

de la lumière, Ahura Mazda

Notre programme fut l’occasion de découvrir l’importance du zoroastrisme dans la culture iranienne. Religion de la Perse avant l’invasion arabe au VIIIe siècle, le zoroastrisme est né des réformes apportées au mazdéisme par Zarathoustra (Zoroastre sous sa forme hellénisée) entre l’an 1000 et 600 av. JC. Le dieu unique, Ahura Mazda, est un dieu bon qui impose à l’homme une éthique personnelle selon trois principes : bien penser, bien dire, bien faire. Le feu sacré symbolise la victoire de la lumière sur l’obscurité, du bien sur le mal. Dans le Temple du Feu de Yazd, principal fief actuel des zoroastriens, brûle encore le brasier allumé, dit-on, au Ve siècle. À Persépolis, le bas-relief du Grand Roi est surmonté par le symbole d’Ahura Mazda. Cyrus le Grand, salué dans les textes bibliques comme le libérateur du peuple juif, était donc un zoroastrien ! Près de Yazd, on escalade une des Tours du Silence : vaste enceinte à ciel ouvert sur le sommet d’une colline, où jusqu’en 1975 les défunts étaient livrés aux vautours pour ne pas polluer la terre. Si l’islam est la religion dominante depuis la conquête des Arabes, la mentalité iranienne reste imprégnée de cette culture ancienne. En témoigne l’attachement à Norouz, la grande fête du printemps célébrée par tous.

Les religions du Livre

La constitution de la République islamique reconnaît christianisme et judaïsme comme religions du Livre ou révélées et leur présence en terre iranienne se manifeste aux yeux du visiteur. L’histoire du christianisme est liée à celle de la communauté arménienne. Au nord de Tabriz, non loin de Jolfa, se dresse le beau monastère arménien dédié à saint Étienne, fondé au XIe et actuellement restauré par l’État. Au XVIIe siècle, le shah Abbas Ier déplaça le population arménienne de la région de Tabriz à Ispahan pour enrichir sa nouvelle capitale. Aujourd’hui se dresse au centre du prospère quartier arménien d’Ispahan la somptueuse cathédrale du Saint-Sauveur.

Quant au judaïsme son implantation est beaucoup plus ancienne puisqu’elle date de l’époque de l’exil à Babylone ! Lorsque Cyrus, fondateur de l’empire perse après la victoire sur Babylone autorisa les Juifs en 539 à rentrer à Jérusalem, certains préférèrent rester sous la protection de ce roi, vénéré encore en Iran comme auteur d’une véritable charte des droits de l’homme (visible au British Museum). À Hamadan, un vieux rabbin nous a introduits dans le mausolée d’Esther et Mardochée, lieu de pèlerinage pour des juifs du monde entier qui connaissent la merveilleuse histoire d’Esther épouse de Xerxès, sauvant de l’extermination les juifs de la diaspora. Cependant beaucoup de juifs sont partis en Israël ou aux États-Unis depuis la révolution de 1979 qui a inauguré des relations très hostiles entre l’Iran et Israël.

 L’islam chiite

Depuis la conquête arabe de 634 à 642, l’islam est religion dominante. C’est au XVIe siècle, sous les Safavides, et suite à des démêlés à la fois politiques et religieux, que le chiisme s’est affirmé, accentuant l’opposition des Perses face aux pays arabes sunnites environnants. De même, si l’écriture arabe a été conservée, le persan – langue indo-européenne – s’est maintenu comme langue officielle. L’importance du clergé, ayatollahs, mollahs, distingue les chiites des sunnites et cela est frappant dans le paysage urbain actuel : longues robes flottant au vent, turbans blancs ou noirs, barbes longues ou courtes, les religieux évoluent dans les lieux saints et autour avec une majesté royale. Les grands portails d’entrée des mosquées sont encadrés par les représentations des deux guides suprêmes de la République, l’ayatollah Khomeiny décédé en 1989 et son successeur, l’ayatollah Ali Khamenei. L’obligation pour les femmes de porter un voile sur la tête manifeste le pouvoir des religieux ; si beaucoup portent un foulard de couleur et ont une allure moderne, d’autres sont ensevelies dans de longs voiles noirs. La période de notre voyage coïncidait avec le mois de moharram, mois de deuil commémorant le martyre de l’imam Hossein, héros du chiisme : partout des bannières noires et à la télévision de grands rassemblements de fidèles se frappant la poitrine ou se flagellant. À Ispahan sur la place royale étaient dressés des panneaux affichant des photos de combattants martyrs de la guerre contre l’Irak, associés au martyre d’Hossein et des slogans enflammés contre Israël, les USA et l’Arabie saoudite.

 Jeunes filles lisant le Coran dans une mosquée

Contrastant avec ces aspects inquiétants de la pression politico-religieuse, nous avons été séduits par la beauté des mosquées, des medersas, des mausolées. À Ispahan comme à Shiraz, les façades et l’intérieur sont recouverts de céramiques délicatement ornementées, turquoise, bleu, jaune, vert, qui captent la lumière et composent des décors végétaux. L’intérieur des mosquées semble un palais organisé autour d’une grande cour. Au milieu de chaque façade une salle voûtée, appelée eivân, favorise le repos, le recueillement ; le plus sacré contient le mirhab orienté vers La Mecque, lieu de prosternation par excellence. Sauf dans les sanctuaires les plus vénérés, à Qom notamment, où les femmes étrangères doivent revêtir un voile intégral, on y circule librement ; c’est un lieu de vie, de détente, de rencontre en même temps que de prière. Shah Abbas avait voulu qu’Ispahan corresponde aux cités-jardins évoquées dans le Coran ou les textes mystiques et le touriste aujourd’hui peut aller à pied des ponts sur la rivière Zayandeh, (en persan qui donne la vie ) à la grande place de l’imam ; il passe à travers des allées bordées d’arbres et de parterres de fleurs, par des palais dont les colonnes en bois se reflètent dans les bassins. C’est une image du paradis et de la sagesse persane préservée au milieu des bouleversements de l’histoire.

 
Danièle Gasse

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