Accompagner la fin de vie

Trois propositions à débattre

30 novembre 2018

Le 24 octobre au Palais des Congrès de Saint-Raphaël, le pasteur Marcel Manoël, président de la Fondation Diaconesses de Reuilly – pionnière en matière de soins palliatifs –, était en dialogue avec Jean Léonetti, auteur ou coauteur de deux lois sur la fin de vie. Nous publions ici un extrait de son intervention, notamment sa troisième proposition, formulée autour de l’accompagnement comme lieu d’exercice de la responsabilité et de la liberté.

Plutôt que de sacraliser la vie, il importe de prendre en compte sa fragilité, et donc d’abord de la protéger. Je crains que la sacralisation absolue de la vie ne conduise à une déshumanisation : à mettre les principes et les normes avant les personnes.

La responsabilité personnelle – en particulier à propos de la vie, la mienne ou celle des autres – ne peut s’exercer qu’en dialogue. Cette seconde proposition veut questionner l’affirmation de plus en plus répandue que chacun serait le seul propriétaire de sa vie, et donc le seul décideur en ce qui concerne sa mort.

L’accompagnement est le lieu d’exercice de la responsabilité et de la liberté.

Le mot accompagnement apparaît de plus en plus souvent dans la littérature sanitaire et médico-sociale, mais en a-t-on creusé le sens ? L’accompagnement est cette attitude où chacun des partenaires est à la fois libre et lié à l’autre. Mais accompagner l’autre, c’est d’abord le respecter totalement dans sa personnalité humaine. Accompagner, c’est aussi mettre en œuvre sa liberté. Être libre de dire les chemins qu’on ne veut pas prendre. Mais être libre aussi d’aller un peu plus loin sur le chemin de l’autre que ce que l’on aurait pensé faire.

Marcel Manoël à la tribune, en compagnie de Jean Léonetti

(©Marc Decaillet)

 

Trois souhaits

Pour un tel accompagnement de fin de vie, j’ai trois souhaits :

– Que l’on insiste sur la désignation d’une « personne de confiance » qui pourra être un acteur essentiel d’un accompagnement en dialogue si la personne concernée n’est plus en mesure de dialoguer elle-même. Les « directives anticipées » à mon sens ne suffisent pas, car, même si elles peuvent indiquer des intentions générales, elles ne peuvent pas vraiment tenir compte des réalités vécues au moment où une décision doit être prise.

– Que l’on reconnaisse l’importance des équipes d’accompagnants. La fin de vie n’est pas qu’une question médicale. Il y a là un problème à régler, qui est celui du partage d’informations. Certaines équipes d’accompagnants préfèrent connaître l’état de santé de la personne qu’elles accompagnent, d’autres préfèrent l’ignorer. Certains médecins partagent, mais d’autres veillent jalousement sur le secret médical. Il y a sans doute là un travail de clarification à faire pour que l’accompagnement de fin de vie puisse réellement se faire en équipe entre soignants, visiteurs bénévoles, aumônier s’il y a lieu, et que chacun puisse apporter à l’autre – bien sûr si le patient en est d’accord – les informations dont il a besoin.

– Enfin, faut-il encore légiférer ? Jean Carbonnier, un éminent juriste protestant, qui a notamment accompagné la considérable évolution du droit de la famille sous la présidence de Georges Pompidou, disait : « Ne légiférez qu’en tremblant » ; il était partisan d’un droit flexible, qui laisse de la place au non-droit, à la responsabilité de chacun et aux réalités de la vie.

Je crois que le droit doit ouvrir un espace à une liberté en dialogue et à une responsabilité partagée : nous avons besoin d’un droit qui organise, structure, encadre les indispensables débats de nos libertés, mais qui au lieu de simplement permettre ou interdire, nous aide à cheminer ensemble et, dans les situations difficiles, à rechercher le « consensus ». Et je rappelle que le consensus n’est pas l’unanimité, mais un accord suffisamment large et profond pour que l’on puisse agir, parce qu’on a pris le temps de construire et de vérifier cet accord, mais aussi d’entendre et de discuter avec ceux qui ne sont pas d’accord, qu’ils acceptent de ne pas s’opposer au consensus, ou même qu’ils lui maintiennent une opposition entière.

 

Un Dieu qui ne contraint pas

J’ai essayé de débattre de ces questions comme citoyen, avec des arguments que chacun, croyant ou non-croyant peut discuter, sans faire appel à des raisons de foi. Mais, pour que les choses soient claires, je dirai simplement qu’il n’y a là aucune dissimulation ou retenue de ma part, car je ne crois pas à un Dieu qui déciderait à ma place. Le Dieu que je découvre au travers de Jésus-Christ est un Dieu qui accompagne les humains dans leurs chemins de vie. Sa parole ne contraint pas, mais au contraire libère des préjugés, des passions, des peurs, de tout ce que la Bible appelle idoles, pour nous permettre des décisions les plus libres et responsables possibles. Je crois qu’être humain, humain jusqu’au bout, c’est accepter de cheminer avec l’humilité qu’exige le respect de l’autre, et le courage de courir le risque de la liberté et de la responsabilité solidaire nécessaire au service du plus vulnérable.

En savoir plus

Pour aller plus loin :

Pour mieux saisir le contexte de ces propositions, on peut lire la totalité de l’intervention sur le site echangesjournal.presseregionaleprotestante.info

Marcel MANOËL

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