Philippiens 4, 5-9 : L’honnête homme
« M. Albert Ménard-Lacoste, industriel nanti d’une immense fortune et officier de la Légion d’honneur, était en droit de se dire le plus honnête homme du monde, et il ne s’en privait pas, du reste, et cette qualité négative, puisqu’elle consiste en somme à ne pas se conduire malhonnêtement, oui, cette qualité le dispensait à ses yeux de toutes celles qui font qu’un homme est agréable à vivre. »
Sacha Guitry commente ainsi l’attitude de son anti-héros, incarné par Michel Simon, en ouverture du film La vie d’un honnête homme. Cet être imbu de lui-même et animé de passions tristes tyrannise sa famille et ses domestiques : il houspille sa cuisinière, l’accusant d’avoir brûlé les épinards qu’il paie fort cher, il pelote sa petite bonne et voit les membres de son entourage comme il se les figure dans ses délires de jugement : son fils lui apparaît tel qu’il le considère, un déficient mental ; il corrige le nez en trompette de sa fille par le pouvoir de son imagination dévoyée et se complaît dans la contemplation de son épouse endormie qu’il souhaiterait morte… Personne n’échappe à son regard inquisiteur et implacable, pas même son frère jumeau… Mais à vous de découvrir l’intrigue du film et son dénouement. Le parfait honnête homme s’est ainsi construit un univers mental à sa mesure et il se rend odieux à l’ensemble du genre humain qu’il méprise en retour dans sa suffisance.
Malgré que nous en ayons, ce film nous jette à la figure la réputation détestable que traîne celui qui se targue d’être un honnête homme. Mais que dire de ce même personnage dans sa version religieuse ? Le croyant n’appartient pas à la catégorie des personnes dites « agréables à vivre » : on s’en méfie, on redoute ses sentences moralisatrices et ses déclarations péremptoires. Qu’on se souvienne donc de la rengaine brocardant « les gens d’Église qui ne sont pas meilleurs que les autres… ». Une conception étriquée, rabougrie de la vie, une humeur maussade entretiennent ce climat de suspicion.
Combien est différente l’atmosphère qui se dégage de l’injonction de l’apôtre Paul aux Philippiens, « Réjouissez-vous ! », qui inaugure la description d’un idéal de vie inspiré par un Évangile aux accents universels. La communauté croyante se distingue précisément par une attitude de douce conciliation et de bienveillance : elle doit éviter les extrêmes et proposer le chemin du juste milieu, en toute justice et en toute délicatesse. La communion avec Jésus-Christ est déclinée comme suit : elle produit vérité, dignité, justice, pureté, amabilité, bonté et louange. Dans la culture ambiante, au temps de Paul, il y a des âmes d’exception qui se refusent à déroger et à s’abaisser jusqu’à la vulgarité et à la bassesse. Les choses aimables se recommandent elles-mêmes par leur pouvoir d’attraction sur les hommes de bonne volonté. Ainsi, la vertu désigne ce goût de l’excellence et ces bonnes habitudes que l’on prend et que l’on exerce jusqu’à ce qu’elles deviennent une sorte de seconde nature. Paul exhorte ses interlocuteurs à soigner les relations humaines dans le sens d’un respect infini pour la créature humaine en devenir et donc perfectible ; lui-même, notons-le, s’exprime ici dans une langue châtiée, ce qui n’est pas toujours dans ses habitudes.
Cela peut se traduire simplement par la politesse qui a des égards pour la personne rencontrée et qui rend agréable à vivre. « Dans son essence, la politesse n’est rien d’autre que l’application adéquate des principes de moralité et d’humanité dans nos relations quotidiennes… Apprendre la politesse, c’est avant tout apprendre à être humain avec naturel. » (A. Schweitzer)