Folles idées

Obsessionnelle vieillesse !

01 avril 2018

L’absence des jeunes dans les Églises locales n’est pas le seul sujet obsessionnel. Un sujet corollaire revient constamment : le vieillissement des membres actifs. Et il faut reconnaître que les 60-80 ans sont nombreux à porter aujourd’hui la vie des Églises. Faut-il s’en inquiéter ? Serait-ce le signe d’un déclin inéluctable du rayonnement de nos Églises ? Pas si sûr…

Certes, les « têtes grises » (comme on dit) sont massivement représentées dans les instances de « gouvernement » de nos Églises locales (Conseils presbytéraux, commissions et instances diverses de l’Église) et plus généralement dans les « forces vives » des Églises locales. À la différence des chiffres concernant les « jeunes » (nombre de baptêmes, d’enfants en catéchèse et dans les groupes de jeunes), les statistiques officielles de l’EPUdF ne permettent pas de mesurer l’évolution dans le temps des tranches d’âges supérieures.

Une réalité bien installée

Intuitivement, j’aurais tendance à affirmer que, de tout temps, les personnes d’âge mûr se sont fortement engagées dans la vie des Églises : davantage de temps, l’expérience de plusieurs années de vie dans les communautés, l’envie de prendre des responsabilités bénévoles (en Église ou en milieu associatif) au moment où les enfants ont quitté la maison ou bien lorsque la vie professionnelle offre une plus grande disponibilité…

 
Les fêtes sont l’occasion de rencontres intergénérationnelles.
Après-midi jeux par l’Association familiale
protestante du Cher, Bourges, mai
2015 © Hélène Pointu

Pour autant, ce qui semble être une tendance lourde de notre époque, lorsque l’on écoute les responsables d’associations, c’est la grande difficulté à trouver des jeunes trentenaires, quadras ou quinquas pour prendre des responsabilités pérennes dans des engagements bénévoles. Si des événements « éphémères » (journées, fêtes, sorties, action de service etc.) permettent de mobiliser fortement, les engagements de long terme ne font plus recette. Peut-être y-a-t-il là une véritable évolution pour la vie des Églises locales ? Là où des 30-40 ans s’engageaient plus volontiers dans des Conseils, des commissions et des instances de la vie de l’Église il y a quelques décennies (reproduisant spontanément ce qu’avaient vécu leurs parents), l’âge de l’engagement s’est décalé et l’on trouve plus facilement des jeunes retraités pour accepter un appel à servir dans l’Église.
Essayons de comprendre. Nous vivons une réalité inédite dans l’histoire de l’humanité.
L’espérance de vie d’abord. En 1955, une fille qui naissait avait une espérance de vie de 71,5 ans (65,2 ans pour un garçon). En 2015, une femme de 60 ans (née en 1955 avec une espérance de vie de 71,5 ans) peut désormais espérer vivre jusqu’à 87,4 ans (83 ans pour un homme).
Les conditions sanitaires, l’évolution du monde du travail, la qualité des soins, les facteurs sont multiples pour expliquer un tel gain d’espérance de vie.

Les conséquences pour les Églises

La conséquence de cet accroissement fort de l’espérance de vie nous place dans une configuration nouvelle qui ne s’est jamais produite jusqu’alors dans l’histoire de l’humanité : quatre générations cohabitent aujourd’hui : les arrière-grands-parents, les grands-parents, les parents, les enfants.

Les célébrations amènent les générations à se côtoyer.
Semaine de l’unité des chrétiens, janvier 2015
© Élisabeth Renaud
   

On parlait il y a encore quelques années du « troisième âge », mais une « quatrième tranche d’âge » s’est invitée.
Une autre conséquence de l’allongement de la vie, c’est de permettre que les générations vieillissantes se portent bien et profitent d’un long temps de retraite en bonne santé.
Un jeune retraité peut donc espérer 20 ans de vie en relativement bonne santé. Et nous voyons avec bonheur un nombre significatif de seniors (nous empruntons l’appellation à la SNCF qui permet l’accès à la 

carte « senior » à partir de 60 ans) s’engager dans la vie des Églises locales, les associations d’entraide, les comités directeurs, bref dans les instances du bénévolat qui permettent à la fois d’être au service des autres et de donner du sens (une utilité sociale réelle !) à ceux qui s’engagent. Certains pourraient interpréter cette réalité comme un déclin de l’Église. Je m’y refuse. C’est au contraire une donnée rassurante sur la vie de nos Églises.
Rassurante, parce qu’au moment où le temps de la retraite s’approche, beaucoup de nos contemporains pourraient aspirer à un retrait du monde actif pour un temps de repos et une sorte d’hédonisme individuel. Il n’en est rien et nous trouvons dans nos Église beaucoup de seniors actifs, heureux de pouvoir y trouver un lieu de vie, un lieu de sens, un lieu de solidarité, un lieu de témoignage. Mais plus encore, des seniors efficaces, enthousiastes et expérimentés qui apportent aux Églises locales des ressources considérables. Et nous serions bien mal avisés de vouloir à tout prix « rajeunir » les cadres de l’Église au motif que des « jeunes, ce serait tellement mieux » !

Les bonnes questions à se poser

« Des jeunes, ce serait tellement mieux » ? Certes, le brassage des âges est une chance. Mais on peut être vieux par le poids des années, et jeune d’esprit, de désir et d’enthousiasme. À l’inverse, on peut être jeune d’âge, mais tellement usé dans son témoignage ou son espérance ! Sortons de ces stériles préoccupations des tranches d’âges et revenons au témoignage de l’Église.
Nos Églises locales sont-elles des lieux d’accueil et de vie où jeunes et vieux se réjouiront ensemble (pour reprendre une phrase célèbre d’un cantique) ? Le pari est difficile : quatre générations doivent vivre ensemble dans une même Église. Mais n’est-ce pas le beau défi de la communion ?
Une autre question importante : la question du renouvellement. Si la tranche d’âge des seniors est fortement représentée dans la vie de nos Églises, sera-t-elle remplacée demain ? S’il y avait une inquiétude à évaluer, ce serait celle-là ! Verra-t-on, dans les prochaines années, un nombre constant de jeunes retraités s’engager dans la vie de nos Églises locales ? Les dernières enquêtes sur le bénévolat en France tendent à monter une érosion constante des plus de 65 ans dans les engagements bénévoles : nos Églises y échapperont-elles ?
Difficile à dire. J’entends dire régulièrement ici et là que les prochains renouvellements des membres des Conseils presbytéraux seront compliqués, mais j’ai l’impression d’entendre cette crainte depuis le début de mon ministère pastoral. Rien ne permet de prédire aujourd’hui un effondrement de l’engagement des seniors dans nos Églises locales.

Ô temps ! Suspens ton vol…

Et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours !*
Bien entendu, la préoccupation de l’avenir, de la transmission, et de la jeunesse à venir est légitime et naturelle. Mais l’Église doit aussi échapper à la « tyrannie du jeunisme » et se soustraire de l’obsessionnelle question du temps qui passe et de ses membres qui vieillissent. 
 
Lors des grands rassemblements, plusieurs générations cohabitent. « Protestants en fête », Strasbourg, octobre 2017 © Anaelle Billaud 

Si chacun aujourd’hui, quel que soit son âge, peut savourer les rapides délices des plus beaux de ses jours en servant le Christ avec joie et enthousiasme, le rayonnement de l’Église échappera au poids des âges. Ici trouve tout son sens la parole de Pierre : Il est cependant un point que vous ne devez pas oublier, bien aimés : c’est que pour le Seigneur un jour est comme mille an et mille ans comme un jour (2 Pierre 3.8).

* Le Lac, Alphonse de Lamartine

Guillaume de Clermont

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