Histoire

Les bibliothèques huguenotes saumuroises du XVIIe siècle

01 décembre 2018

Annoncée dans le numéro du Protestant de l’Ouest de septembre, l’exposition de la Médiathèque Louis Aragon (Le Mans) Ex Bibliotheca. Les livres retrouvés de l’Académie protestante de Saumur propose une histoire de cette institution à partir d’un corpus de livres inédits. Principalement conservé au Mans et à Saumur, cet ensemble regroupe une soixantaine d’ouvrages remarquables par leurs possesseurs, qu’il s’agisse du fondateur de l’Académie, de certains de ses professeurs ou d’étudiants.

Au XVIIe siècle, l’Académie fondée par Philippe Duplessis-Mornay, gouverneur de Saumur, fut un haut lieu de la vie des Églises réformées de France. Principal centre de formation des pasteurs au nord du royaume, elle fut également un foyer théologique novateur sous l’influence de l’un de ses professeurs de théologie, John Cameron.
Ses élèves Moïse Amyraut et Josué de La Place, en y devenant eux-mêmes enseignants aux côtés de Louis Cappel, firent rayonner l’institution à partir des années 1630. Cet éclat ne fut pas sans conséquence. Les innovations d’Amyraut sur la grâce, de Cappel dans le domaine de l’exégèse et de La Place dans l’interprétation du péché originel déclenchèrent des controverses : leurs thèses furent discutées et parfois même condamnées. En 1685, la politique anti-protestante de Louis XIV mit un terme à l’existence déjà difficile de l’Académie, quelques mois avant la révocation de l’Édit de Nantes.

Des livres dispersés

Jusqu’à présent, l’histoire de l’Académie était connue grâce à deux principaux fonds d’archives : les registres du conseil académique (Saumur) et la collection Bouhéreau (Dublin). Les ouvrages retrouvés à Saumur et au Mans constituent un nouvel ensemble qui éclaire sous un jour nouveau la place du livre dans la vie de l’Académie.

Pour comprendre pourquoi des livres de protestants saumurois sont conservés au Mans, il faut évoquer l’épilogue de cette histoire. En janvier 1685, lorsque l’Académie est fermée sur ordre de Louis XIV, ses biens sont saisis et sa bibliothèque inventoriée par François de Gouy, libraire catholique de Saumur. En février, ces biens sont confiés à l’Hôtel-Dieu de la ville. En mars, de Gouy devient locataire des locaux de l’Académie fermée, son bail prévoyant la création d’une boutique.  
© Médiathèque Louis Aragon, TH 8° 960

Enfin, en juin, de Gouy rachète la bibliothèque de l’Académie à l’Hôtel-Dieu. À partir du milieu de l’année 1685, les livres de l’institution fondée par Mornay sont dispersés au fil de ses ventes. À Saumur, les Oratoriens des Ardilliers et les Bénédictins de Saint-Florent acquièrent quelques ouvrages de leurs anciens adversaires. En 1717, les Mauristes de l’abbaye Saint-Vincent du Mans enrichissent leur bibliothèque de 2500 volumes : les ouvrages retrouvés dans le fonds ancien de la médiathèque du Mans prouvent qu’ils les ont achetés au moins en partie à Saumur, chez de Gouy. Les saisies révolutionnaires ont ensuite fait passer ces ouvrages dans les collections municipales de Saumur et du Mans.
Dans ce corpus dispersé, trois ensembles se démarquent : les bibliothèques de Philippe Duplessis-Mornay, Louis Cappel et William Doull.

© Médiathèque Louis Aragon, TH 8° 994
  Au château de Saumur, Mornay possédait deux bibliothèques : celle avec les ouvrages dont il était l’auteur et une bibliothèque de lecture. 
En 1606, il fit don de cette dernière à l’Académie pour que soit créée une bibliothèque à l’usage des professeurs et étudiants. Après 1685, en achetant des ouvrages à de Gouy, les abbayes saumuroises et mancelles entrent en possession de livres ayant appartenu au fondateur de l’Académie. Ils sont identifiables grâce à leurs reliures au chiffre de Mornay (deux phi croisés) ou à l’envoi autographe d’auteur adressé à ce dernier : Joseph-Juste Scaliger, Thomas van Erpe et Johannes van den Driesche (trois théologiens néerlandais). 

 

Une révolution de la critique biblique

Louis Cappel est le professeur le plus connu des enseignants saumurois du fait de sa contribution à la critique biblique, avec ses deux principaux livres, l’Arcanum punctationis revelatum et la Critica sacra. Une dizaine d’ouvrages lui ayant appartenu ont été retrouvés, parmi lesquels deux dictionnaires d’hébreu et de syriaque abondamment annotés. Ses notes dévoilent l’élaboration de la méthode critique qui fit sa renommée. D’une part, il établit des hypothèses quant à l’étymologie de centaines de mots, en opérant des rapprochements entre l’hébreu et l’arabe mais aussi les langues européennes pour les termes d’hébreu médiéval. D’autre part, il recense les occurrences de termes rares ou d’origine étrangère dans des textes hébraïques. Deux ouvrages du corpus se font ainsi écho. La médiathèque de Saumur conserve un volume réunissant deux midrash (des commentaires médiévaux de la bible en hébreu) : le midrash Rabbah et le midrash des cinq Rouleaux. Cet ouvrage ayant appartenu à Cappel comporte une vingtaine de notes autographes repérant les mots d’origine grecque ou latine passés en hébreu. 

Or aux entrées de ces mots dans son dictionnaire d’hébreu conservé au Mans, figurent les mentions manuscrites « dans le midrash Rabbah/des cinq Rouleaux ». L’enquête menée pour l’exposition a en outre permis de retrouver des livres de la bibliothèque de Cappel à l’échelle européenne (Pays-Bas et Espagne).

Des ouvrages remarquables

Enfin, le corpus retrouvé à Saumur et au Mans permet de mettre en lumière un professeur de l’Académie tombé dans l’oubli : William Doull. Écossais et médecin, Doull est reçu au concours de régent de la classe de première, celle de rhétorique, le 15 janvier 1646. La même année, il épouse Jeanne Amyraut, nièce de son nouveau collègue Moïse Amyraut. En 1655, Doull est reconnu professeur en éloquence par le conseil académique. Son enseignement s’arrête en 1672 du fait de l’application de l’édit royal contre les professeurs étrangers.

 
© Médiathèque Louis Aragon, TH 8° 2705

Médiathèque Louis Aragon, TH 8° 960

Onze ouvrages lui ayant appartenu ont été retrouvés, qui témoignent à la fois de sa profession et de ses centres d’intérêt : quatre liés à l’enseignement, quatre portant sur l’histoire et deux livres de théologie (pour ces deux dernières catégories, Doull s’inscrit dans la norme des bibliothèques érudites du XVIIe siècle, dominées par ces deux disciplines). Le onzième ouvrage lui ayant appartenu, consacré à la zoologie, lui a été offert par un compatriote écossais en visite à Saumur en 1648.
Au-delà de ces trois ensembles, les médiathèques de Saumur et du Mans conservent des ouvrages remarquables ayant appartenu à d’autres professeurs (Marc Duncan, Tanneguy Le Fèvre, Etienne de Brais) mais aussi des étudiants, notamment des livres de prix offerts par l’Académie. Enfin, une Bible de 1572 venant probablement de Saumur, désormais conservée au Mans, comporte une note manuscrite intitulée L’ordre qu’on doit tenir à faire les prières par les Familles au jour de Dimanche là où on n’a moien de se trouver au presche, rarissime témoignage sur le culte privé au tournant des XVIe et XVIIe siècles.

Thomas Guillemin

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