Exploration

Les anges de la Bible

01 décembre 2017

De manière étonnante, le mot « ange » n’est pas la traduction d’un mot grec ou hébreu : dans ces langues anciennes, « ange » n’a pas d’équivalent ! « Ange » est en fait la transcription du mot grec angellos, « messager » qui a servi à traduire l’hébreu « MaLeaK », mot qui signifie « envoyé ». Dans la Bible, les anges ne sont pas seulement des messagers, mais des personnes envoyées, chargées par Dieu de diverses besognes.

 

En toute rigueur, dans la Bible, nous devrions presque partout pouvoir nous passer du mot « ange ». Par exemple, chaque fois que nos versions évoquent « l’ange du Seigneur » comme s’il s’agissait d’un personnage particulier, elles pourraient se contenter de mentionner « un envoyé de YHWH ». Il semble bien en effet que « l’ange du Seigneur » soit une invention des traducteurs !

Parler d’un ange ou d’un envoyé de Dieu, ce n’est pas tout à fait la même chose. Quand on parle d’un « envoyé du Seigneur », on insiste avant tout sur le fait que c’est le Seigneur qui envoie. Ce qui fait l’envoyé ou le messager, c’est sa mission et son message. Ange, par contre, c’est une nature. On reconnaît la silhouette d’un ange au premier coup d’œil. Ce qui fait l’ange, ce sont ses ailes, sa robe, son apparence… et l’idée que, s’il leur ressemble, l’ange n’est pas un humain. Même s’il n’a rien à transmettre et si personne ne l’a envoyé, un ange est un ange toute sa vie.

Un taureau ailé à cinq pattes du palais de Sargon II,

« ancêtre » des chérubins de la Bible…

© DR

Les ailes de la foi

Visiblement dans la Bible, les envoyés de Dieu ressemblent rarement à des anges. Le plus souvent, on les prend pour des hommes (Genèse 18.2 ; 32.25… et, dans les bibles catholiques, l’histoire de Tobie…) et pour cause : ils n’ont pas d’ailes. Si les anges que Jacob voit crapahuter entre ciel et terre avaient besoin d’une échelle, c’est bien qu’ils ne savaient pas voler (Genèse 28.10-15). Dans les catacombes, les premiers chrétiens représentaient les anges sans ailes au point que, pour qui regardait ces fresques, ce n’était pas très pratique : on mélangeait les anges et les humains. On a alors mis des ailes aux anges pour les représenter comme les messagers des dieux païens si populaires autrefois chez les Égyptiens… et encore plus chez les Grecs, les Étrusques ou les Romains. Pensez à ce qui reste de la victoire de Samothrace. La Bible quant à elle, ne nous propose qu’une seule description d’un ange en Apocalypse 10.1… et il n’a pas d’ailes.

Le sexe des anges

Les anges de la Bible sont donc en tous points semblables aux hommes, mais pas aux femmes. L’idée de l’ange repose sur celle de la Royauté de Dieu. Comme tout roi, l’Éternel a des gardes (les fameux séraphins et autres chérubins qui ne sont pas des « anges » puisqu’ils ne sont pas envoyés, mais restent auprès de Dieu) et il envoie des émissaires (les anges) pour faire connaître sa volonté et la mettre à exécution. Dans le Proche Orient ancien, où cette idée a pris naissance, aucun roi n’aurait songé à envoyer une femme comme émissaire. Aussi le Seigneur n’envoie-t-il que de mâles messagers. Les anges de la Bible sont tous du genre masculin. Du coup on les prend souvent pour des hommes (Juges 13.6), jamais pour des femmes. Un des anges les plus célèbres s’appellera même Gabriel, ce qu’on pourrait traduire par « le gars de Dieu ». Il n’y a dans la Bible pas plus d’ange féminin qu’il n’y a de gendarmette ou de laboureuse. Leur fonction est réservée aux mâles, un phénomène sans doute amplifié après l’Exil à Babylone, quand on a assisté à une masculinisation du divin en Israël.

Par contre, quand ils n’y sont pas contraints par le texte qu’ils ont sous les yeux, les illustrateurs de la Bible présentent souvent les anges avec des traits féminins plus agréables à regarder. Ils inscrivent ainsi leurs œuvres dans la ligne des images de l’Antiquité païenne, qui, avec Iris et Niké, connaissaient déjà de ravissantes déesses ailées.

 

Évolution

En fonction des influences culturelles qu’il a subies, le judaïsme a fait évoluer son regard sur les anges. Les messagers de Dieu y ont gagné en épaisseur passant des seconds aux premiers rôles, et devenant ce qu’on appellera des êtres spirituels. Dans le conte de Tobie, sans doute écrit au début du 2e siècle avant notre ère, le héros est un ange. Il se nomme Raphaël, un nom qu’il n’hésite pas à divulguer, ce que jamais l’adversaire de Jacob au gué de Yabbok n’aurait accepté de faire (Genèse 32.30). De plus, Raphaël ne mange pas. Il fait semblant (Tobit 12.19). En Genèse 18, quand Abraham sert un véritable festin, ses visiteurs d’un jour ne font pas tant la fine bouche. Ils mangent, digèrent et font sans doute tout ce qui s’en suit !

Au 1er siècle, la question des anges divise le judaïsme. À la différence des pharisiens, les prêtres sadducéens du temple de Jérusalem ne croient pas aux anges. Cela nous est rapporté dans le seul passage que la Bible consacre à cette question (Actes 23.8). Si Paul croit aux anges, il se méfie de ceux qui s’en réclament (Galates 1.8 ; 1 Corinthiens 13.1). C’est dans ces textes que le mot grec angellos, « messager », prend un sens technique, au point qu’on est obligé, pour le traduire, d’utiliser alors en français le mot « ange ».

 

Personne, et surtout pas la Bible, ne nous demande de croire aux anges ! À ma connaissance, aucune confession de foi, qu’elle soit juive ou chrétienne, ne déclare « je crois aux anges ». Mais à toutes celles et ceux qui croisent des anges, la Bible demande de croire ces anges. Pour parodier le proverbe chinois qui enseigne : « quand le doigt montre la lune, le sot regarde le doigt », on pourrait dire que, quand l’ange proclame l’Évangile, il ne demande pas à ce qu’on croie aux anges. Croyez à l’Évangile.

 

Jean-Pierre STERNBERGER,
Bibliste régional en Centre-Alpes-Rhône

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