Lieux de paix – 13 –

Le Serre du Loup

08 mars 2019

La nature est souvent source de réflexion. L’immensité des paysages, mais aussi le secret des sous-bois, nous invitent à faire une introspection. Des lieux qui nous aimantent et nous attirent inlassablement.

Parti de bonne heure, l’homme a pris le chemin qui mène au sommet de ce qu’il appelle « le Serre du Loup ». Avec les ans, le chemin lui semble plus encombré que d’habitude. Il y a longtemps que le temps des charrettes est révolu et que les chemins ne sont plus entretenus. Cependant, ce chemin demeure un tracé vivant dans le souvenir de l’homme. Au fur et à mesure de l’ascension, les bruits de l’activité humaine restent prisonniers de la vallée. L’air fraîchit. Parle alors à ses oreilles la longue caresse d’une brise qui le rattache à l’Univers par la course muette de la Terre.

Voici pour l'homme, le lieux de paix où il rumine, s'abandonne à la rêverie et à l'étonnement
(© Jack Seguin)

 

L’attention portée sur les pierres du chemin s’estompe ; la ligne de crête le plonge dans ce qu’il imagine être la sérénité. Les bribes de ses préoccupations humaines restent accrochées aux branches des hêtres puisqu’il a dépassé la limite des châtaigniers.

Le vent n’a plus la même voix. Dans les chênes rouvres et les châtaigniers, elle est aigre et préoccupée. Dans les « fayards » figés, elle devient lisse pour enfin devenir cosmique dans les odorants résineux.

 

Il aperçoit enfin, là-bas, sur le liseré supérieur de l’escarpement de schiste qui se découvre, le petit amas de pierres sombres qu’il prend toujours pour une silhouette humaine. Avec la distance, ses yeux lui donnent l’impression qu’elle bouge !

Les derniers instants de l’ascension éliminent, une à une, les formes prêtées par l’imagination au « hasard » des pierres assemblées. L’homme touche enfin ce qui peut être un cairn.

 

Au loin, l’éclat aveuglant de la lumière du jour sur l’étendue de la mer l’entraîne dans la fugace sensation d’appartenir aux pierres qui le font « trantoller », aux parfums qui emplissent ses narines, au vent qui joue dans ses cheveux. Cette splendeur l’attendait ; de ce point de vue, voir et regarder, entendre et écouter, sentir, c’est posséder…

 

Avant lui, les loups ont dû faire le même cheminement puisque le lieu qu’il a atteint s’appelle « le Serre du Loup ». Chaque fois qu’il se retrouve sur ce « lieu de paix », le titre du livre de Jacques Monod lui revient à l’esprit : Le hasard et la nécessité.

« Ce qui peut être, c’est le possible ; ce qui ne peut pas être, c’est l’impossible ; ce qui ne peut pas ne pas être, c’est le nécessaire ; et ce qui peut ne pas être, est le plus important ; c’est le contingent, c’est le hasard », répond Michel Serres lors d’un interview.

 

L’homme se promet de revenir sur ce sommet par une nuit étoilée, comme nous avons la chance d’en voir de si belles dans les Cévennes.

« À l’opposé du soleil qui aveugle, ajoute Michel Serres, la nuit étoilée est le modèle de la connaissance parce que “la vérité” n’aveugle pas et qu’il y a des myriades de petites parcelles de vérités qui scintillent pour qui veut les voir… »

Rien n’est plus néfaste que l’illusion de la clarté. Voici pour l’homme, le lieu de paix où il rumine, s’abandonne à la rêverie et à l’étonnement. Dépouillé de son altérité, il repense à la remarque de François Cheng : « Si nous sommes capables de penser l’Univers, c’est que l’Univers pense en nous. »

Jack Seguin
membre du comité de rédaction du Cep

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