Histoire

La franc-maçonnerie et le protestantisme

01 mars 2018

La franc-maçonnerie reste de nos jours une instance mystérieuse voire inquiétante. Or, peu de personnes savent qu’en ses statuts, la franc-maçonnerie spéculative a été fondée essentiellement par des protestants et des anglicans. Jacques Hostetter, pasteur et franc-maçon, nous raconte son histoire. Page 30, vous découvrirez ses principes.

Lorsque la première Grande Loge spéculative vit le jour à Londres, le 24 juin 1717, l’innovation était de taille. Jamais, en effet, les loges opératives médiévales, dispersées et isolées par définition, n’avaient reconnu l’intérêt d’user de principes et de rituels communs.
En 1719, un nouveau grand maître est élu : c’est Jean-Théophile Desaguliers (1683-1744), fils d’un pasteur rochelais émigré à Londres lors de la Révocation de l’Édit de Nantes. 
 
Équerre et compas. Mémorial maçonnique de Washington. Permis générique de reproduction de terrains communaux © DR

Éduqué à Oxford, proche collaborateur d’Isaac Newton, membre de la Royal Society, ses publications scientifiques en électricité, conductivité, optique et étude des fluides feront référence.

La France, la fille aînée

En 1721, sous la Grande maîtrise du Comte de Montagu, c’est un autre pasteur calviniste, James Anderson, qui fut chargé de la rédaction des nouvelles Constitutions maçonniques. L’ouvrage fut présenté par Montagu, sous le nom de Constitutions des francs-maçons à son successeur le Duc de Warthon ; mais elles restent connues, dans l’historiographie maçonnique, comme les Constitutions d’Anderson. La pensée de Desaguliers inspire fortement ce texte qui paraît d’ailleurs avec sa dédicace. C’est cet écrit que la Grande Loge de Londres adoptera pour règle en 1723, fondant ainsi la franc-maçonnerie moderne. Le protestantisme, qu’il le veuille ou non, est bien lié à la franc-maçonnerie.

 Portrait symbolique de vénérable maître (Grand Orient de Belgique).
Peinture d’Albert Castro
© Jacques Hostetter

 

Entre 1720 et 1750, à la suite de Desaguliers, une déferlante d’aristocrates proches de la nouvelle dynastie hanovrienne, donc forcément protestants ou anglicans, et de membres de la Royal Society envahit la Grande Loge, lui fournissant désormais tous ses cadres.
La France va rapidement devenir « la fille aînée de la maçonnerie » en Europe et y rayonner durant tout le siècle des Lumières. Mais au cours du XIXe siècle une divergence majeure va apparaître entre les loges anglo-saxonnes et les loges continentales. L’explication est simple. D’une part une nation insulaire, riche de nombreuses colonies, protestante et communautariste, et de l’autre un pays de tradition catholique et absolutiste devenu en une génération le « fer de lance » d’un idéal républicain, laïque et universaliste.

Lors de la création de la franc-maçonnerie, des catholiques étaient présents dans les loges mais quelques décennies plus tard, en 1738, le pape a excommunié les catholiques qui étaient francs-maçons. Et cette mesure sera répétée dans d’autres bulles papales.

 

Une institution ouverte à tous

Un conflit ne pouvait que se nouer et lorsqu’en 1877, le Grand Orient de France décide de renoncer pour ses membres à l’obligation de croire en Dieu, la maçonnerie anglo-saxonne consomme officiellement la rupture.
On doit l’ouverture des loges aux agnostiques et athées à Frédéric Desmons, un homme brillant né en 1832 et décédé en 1910 à Paris. Plusieurs fois grand maître du Grand Orient de France, remarquable politicien français, conseiller général en 1877, député puis sénateur du Gard, il militera sa vie durant pour la liberté absolue de conscience. Il était lui aussi protestant et pasteur ! Initié le 8 mars 1861, il assume la charge de vénérable maître de la loge « Le Progrès » dès 1870.
Trois ans plus tard, il entre au Conseil de l’ordre du Grand Orient de France et comprend les vœux des loges qui souhaitent la suppression des références à l’existence de Dieu et à l’immortalité de l’âme. Lors du convent (assemblé général des francs-maçons) de 1877, il prononcera un brillant discours qui emportera l’adhésion enthousiaste d’une majorité de délégués : Laissons aux théologiens le soin de discuter des dogmes. Laissons aux Églises le soin de formuler leur syllabus. Mais que la maçonnerie reste ce qu’elle doit être, c’est-à-dire une institution ouverte à tous les progrès, à toutes les idées morales et élevées, à toutes les aspirations larges et libérales.
Son interpellation aboutit à la fin de l’obligation de croyance en l’existence de Dieu pour les membres du Grand Orient de France, mais lui-même restera profondément déiste et protestant.

Suite à cela, la France conduira une maçonnerie libérale en matière religieuse, progressiste en politique et désireuse de changer positivement la société. Pendant toute la IIIe République son combat s’identifiera à celui de la République et de là proviendra l’image, classique en France mais incompréhensible dans les pays anglo-saxons, d’une franc-maçonnerie radical-socialiste et anticléricale qui correspondra à une certaine réalité jusqu’à la fin des années 1930. Voltaire, initié peu de temps avant son décès, fut son idole, Émile Littré son philosophe et Jules Ferry (1832-1893), un autre protestant, son modèle politique…  
Livres maçonniques © Jacques Hostetter

La séparation des Églises et de l’État, et la création de l’école laïque furent ses deux actions les plus marquantes. Tout comme le protestantisme historique qui a soutenu avec force et conviction ladite séparation entre l’Église et l’État.

Les différentes loges aujourd’hui

Il faut garder en mémoire que la franc-maçonnerie moderne est née au début du XVIIIe siècle, certes le « siècle des Lumières », mais aussi dans un climat de guerres et de querelles de religions. Ce qui est exceptionnel, c’est que malgré cet environnement, la franc-maçonnerie a, dès ses origines, réuni des hommes ayant des convictions différentes mais qui voulaient établir des liens forts avec ceux qui ne pensaient pas nécessairement comme eux.
Dans les loges pluralistes, telles que le Grand Orient, le Droit Humain, la Grande Loge et la Grande Loge féminine, toutes les opinions religieuses et philosophiques sont admises. Des personnes qui n’appartiennent à aucune religion ou à aucun groupement idéologique peuvent évidemment en faire partie. Il est néanmoins exigé que le franc-maçon soit toujours tolérant envers les opinions des autres.
Mais il est clair que ceux qui croient « posséder » LA vérité et donc la réponse unique aux questions fondamentales ne trouveront rien dans une association dont la recherche est le caractère principal, et que ceux qui préconisent des idées intégristes, en quelque domaine que ce soit, n’y ont pas leur place.
En toutes circonstances la franc-maçonnerie préconise la rencontre entre les différentes convictions religieuses et philosophiques, le dialogue, l’ouverture, et met en exergue les valeurs qui sont communes et qui permettent de progresser ensemble, plutôt que les facteurs de division…

* Jacques Hostetter-Mills est ancien « vénérable maître » à la Grande Loge de Belgique, obédience « amie » du Grand Orient, du Droit Humain et de la Grande Loge féminine. Ayant aujourd’hui rejoint la Vendée, comme pasteur de l’Église protestante unie de Vendée-Ouest, il fréquente désormais une loge du Grand Orient de France à La Roche-sur-Yon.

Jacques Hostetter *

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