Rencontre à Samarie

La femme et le puits : une quête requestionnée

05 mai 2019

« La Bible est une fontaine remarquable : plus on en tire et boit, plus elle stimule la soif », disait Martin Luther. Avec raison ! La dynamique Lire la Bible lancée par l’Église Protestante Unie de France en mai dernier entend permettre à chacun de retrouver le plaisir de lire la Bible, d’en stimuler sa soif. Le journal Ensemble vous proposera chaque mois, dans le cadre de cette dynamique Lire la Bible, un article sur un passage biblique. C’est une invitation à la lire, à la questionner, à la méditer.  Ce mois-ci la rencontre de Jésus avec la Samaritaine.

Ce récit en Jn 4,1-42 fait partie de ces joyaux qui me font lire et relire sans cesse la bible, ce livre qui me raconte la grâce de Dieu en Christ. Ce récit est très riche. Je retiens aujourd’hui le thème de la mission d’une religion antireligieuse.

La foi est de l’ordre d’une rencontre

Dans sa 1ère partie (v. 1-29), le texte raconte comment Jésus déconstruit les certitudes religieuses de la femme pour que naisse la foi. Pour cela, Jésus refuse de répondre à ses questions et choisit chaque fois de déplacer la conversation ailleurs, pour questionner sa quête et ses croyances (v. 10.13.16.18.21…).

La rencontre avec le Christ interroge sans cesse toute religion et toute spiritualité, et nous interpelle dans notre quête.

La rencontre du Christ et de la Samaritaine nous permet
de questionner notre conception de la mission
(Pierre Mignard)@wikimedia.org

La femme chemine ainsi dans sa manière de nommer Jésus : juif (v. 9), maître (v.11), plus grand que Jacob (v. 12), prophète (v. 19), peut-être le Messie (v. 26). Alors que les religions évoquées par la femme sont figées, fixées à des lieux définis (cette montagne, ce puits, Jérusalem), Jésus l’invite à aller plus loin en lui présentant une nouvelle manière d’adorer : « en esprit et en vérité » (v. 24). Car le Dieu de Jésus est Esprit. Il est au-dessus de tout dieu rattaché à un lieu, à un nom, à un peuple. Au-dessus de tous ces dieux qui exigent des sacrifices pour être le « plus grand » (v. 12). Son Dieu ébranle toutes les constructions matérielles, idéologiques ou religieuses dans lesquelles les humains pourraient l’enfermer. La rencontre avec le Christ interroge sans cesse toute religion et toute spiritualité (religion biblique, sacralisation de la nature…), et nous interpelle dans notre quête.

Pâque Samaritaine à Kiryat Luza@Emmanuelle Mouyon

La rencontre avec le Christ questionne notre mission

Dans la 2ème partie, Jésus questionne les disciples quant à leur conception de la mission (v. 34s). Celle-ci est redéfinie : elle consiste moins à semer qu’à moissonner ce que d’autres (le Christ, la Samaritaine…) ont semé (v. 38), et à se laisser ainsi déplacer par la rencontre du Christ à travers l’interlocuteur. La Samaritaine elle-même, missionnaire modèle, s’efface (v. 42) pour laisser la place à la seule rencontre avec le Christ. C’est lui qui est la véritable source de l’eau jaillissant en vie éternelle (v. 14). Cette vie se rend visible par une religion antireligieuse, dont la seule raison d’être est d’être missionnaire (v. 38), en créant des occasions de rencontre avec le Christ. En s’installant dans des certitudes, un chrétien ou une Église risque de rater cette rencontre et de ne pas cheminer dans la foi, confiance en la fidélité du Christ. Cette définition de la mission m’a aidé pendant les années où j’étais envoyé pour enseigner la théologie au sein d’une culture ayant une vision du monde différente de la mienne. Ce texte m’aide encore chaque jour dans ma mission.

En savoir plus

Le texte

« 19 Alors la femme s'exclama : "Maître, je vois que tu es un prophète. 20 Nos ancêtres samaritains ont adoré Dieu sur cette montagne, mais vous, les Juifs, vous dites que l'endroit où l'on doit adorer Dieu est à Jérusalem." 21 Jésus lui répondit : "Crois-moi, le moment vient où vous n'adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. 22 Vous, les Samaritains, vous adorez Dieu sans le connaître ; nous, les Juifs, nous l'adorons et le connaissons, car le salut vient des Juifs. 23 Mais le moment vient, et il est même déjà là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car tels sont les adorateurs que veut le Père. 24 Dieu est Esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité." 25 La femme lui dit : "Je sais que le Messie va venir. Quand il viendra, il nous expliquera tout." 26 Jésus lui répondit : "Je le suis, moi qui te parle." 28 Alors la femme laissa là sa cruche d'eau et retourna à la ville, où elle dit aux gens : 29 "Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Serait-il peut-être le Messie ?" 31 Les disciples priaient Jésus de manger : "Maître, mange quelque chose !" disaient-ils. 32 Mais il leur répondit : "J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas.38 Je vous ai envoyés moissonner dans un champ où vous n'avez pas travaillé ; d'autres y ont travaillé et vous profitez de leur travail." 42 Les villageois déclaraient à la femme : "Maintenant nous ne croyons plus seulement à cause de ce que tu as raconté, mais parce que nous l'avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu'il est vraiment le Sauveur du monde." » (Jn.4,19-26.28-29.31-32.38.42).

Pour méditer

* Pour vous, que signifie « adorer Dieu en esprit et en vérité » ?

* Quel est le lien entre la religion, la foi comme rencontre du Christ et l’eau vive qu’il propose ?

* Qu’est-ce qu’une « rencontre avec le Christ » peut-elle apporter aujourd’hui ?

* Une religion doit-elle exiger une obéissance, une soumission, un sacrifice ? Pourquoi ?

* Comment une religion peut-elle être sans cesse réformée ?

Présentation du livre

Pour Zumstein, la rédaction de l’évangile de Jean (Jn) s’étend sur plusieurs décennies, dans une école fondée autour des traditions propres aux églises johanniques par le disciple bien-aimé (13,23-25). L’évangéliste est plus jeune d’une génération que celui-ci. La forme canonique, fin du Ier s., est l’œuvre d’un autre rédacteur final, ajoutant Jean 21.

Jean est destiné aux églises johanniques, affectées par leur expulsion de la synagogue (vers l’an 85 : cf. 9,23 ; 12,42 ; 16,2), rupture qui questionne la pertinence de leur foi (Zumstein, RSR, 77/1989, p.220). Émigrées à Éphèse, elles rencontrent « la grande Église ». Cela les fait réfléchir sur leur identité et leur christologie. Jean veut restructurer et affermir la foi de ses destinataires.

Histoire

Après la conquête de Samarie (-721), les Hébreux de la région furent en partie remplacés par des colons, surtout des Cuthéens (2 Rois 17,24) ne pratiquant pas le culte autochtone de Yhwh (Josèphe A.J., 9,280-290). Ils adoptèrent la Loi de Moïse mais auraient refusé la Torah orale. Ils voulurent se joindre aux exilés judéens revenus de Babylone (-538), mais Zorobabel et Néhémie refusèrent (Esd.4,2). L’hostilité entre les Juifs et eux aurait débuté ainsi, entraînant la création du sanctuaire du Garizim. Antiochus IV Épiphane épargna (-167) ce sanctuaire car il aurait été dédié alors à Zeus (A.J. 12,251). Mais Jean Hyrcan Ier le détruisit (-108). Même sans sanctuaire, le Garizim reste le lieu de culte des Samaritains, jusqu’à nos jours. Le roi Hussein de Jordanie donna une partie du Garizim aux Samaritains, qui y construisirent le village de Kiryat Luza (dans les années 1980s).

Glossaire

Le puits de Jacob serait un puits-source alimenté par une eau souterraine tarie en saison sèche. Il est aujourd’hui indiqué à 500m de ce qui est appelé tombe de Joseph et à 1km du Mont Garizim. Sychar est assimilé à l’actuel Askar, à 1km au nord-est de Naplouse (Sichem).

Remariage. La loi mosaïque permet à une veuve de se remarier plusieurs fois, dans le cadre du lévirat (Dt 25,5-10). Mais les 5 maris pourraient aussi renvoyer aux divinités samaritaines. En tous cas, le non-mariage de cette femme signifie la précarité de sa vie.

Pour aller plus loin

Bernard Gilleron, Le disciple que Jésus aimait, Poliez-le-Grand, Éditions du Moulin, 2000.

Elian Cuvillier et Emmanuelle Steffek, De Jésus à Jean de Patmos, Lyon, Olivétan, 2010.

Jean Zumstein, L’Évangile selon saint Jean (1-12), Genève, Labor et Fides, 2014.

Paul Tillich, Théologie de la culture, Paris, Planète, 1968.

Mino Randria,
Pasteur à Toulouse.

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