Juifs et protestants aujourd’hui

01 mars 2017

Roland Poupin, pasteur à l’Église protestante unie de Poitiers, est président de la commission pour les relations avec le judaïsme à la Fédération protestante de France (FPF). Il nous parle de son engagement.

Depuis quand êtes-vous investi dans le dialogue avec le judaïsme ? Et pourquoi ?

Roland Poupin : Je suis impliqué depuis déjà 15 ans. Pasteur à Antibes, je participais aux rencontres de l’Amitié judéo-chrétienne. Je me suis lié d’amitié avec le rabbin, avec lequel j’ai eu des échanges très riches. Par ailleurs, en tant que prédicateur, j’ai toujours redouté une lecture anachronique du Nouveau Testament tentée de projeter un antijudaïsme issu d’une tradition postérieure à l’écriture des textes. Le christianisme comme religion n’existe pas encore et les tensions relatées dans le Nouveau Testament relèvent d’un débat entre courants du judaïsme d’alors.

Vous avez contribué à la réalisation du livre Juifs et protestants – Une fraternité exigeante paru en 2015. Pouvez-vous nous en parler ?

R. P. : Ce livre est né d’une réflexion interne de l’Église réformée de France (ERF) sur les relations avec les juifs, suite au colloque de la FPF Foi protestante et judaïsme en 2010, invitant les Églises membres à une réflexion. Un groupe s’est constitué dans l’ERF, puis l’Église protestante unie de France (EPUdF), composé de personnalités issues du protestantisme aux compétences variées, théologiques, historiques, sociologiques. Il s’agissait de communiquer à des protestants un ensemble de dossiers qui puissent leur permettre d’y voir plus clair dans la situation actuelle et d’approfondir leur fraternité très ancienne avec le peuple juif. Ce livre est une première étape.

Le 16 mars 2017 aura lieu un colloque juifs/protestants, organisé sous l’égide de la FPF, auquel cette fois participeront des juifs et en particulier le rabbin Haddad bien connu des Poitevins participant aux Amitiés judéo-chrétiennes.

Pouvez-vous nous expliciter la différence entre la christologie de Luther et celle de Calvin ?

R. P. : Luther, plus proche en cela de la christologie développée dans la lignée du Concile d’Ephèse (431), insiste sur la présence corporelle de la divinité en Jésus-Christ tandis que, dans la lignée du Concile de Chalcédoine (451), la théologie réformée insiste sur l’idée que la divinité s’incarne en Jésus-Christ mais ne se réduit pas à cette incarnation. Son approche implique pour Luther la nécessité d’une conversion explicite au Christ alors que la seconde approche ouvre à une compréhension de la grâce débordant une profession de foi explicite en Jésus-Christ. La première approche a pu jouer dans le retournement de l’attitude de Luther envers les juifs. Il prend d’abord parti pour les juifs dans son traité Que Jésus-Christ est né juif espérant ainsi les amener à une conversion à la foi chrétienne. Comme cela ne se produit pas, il sombre dans la violence la plus extrême manifestée dans son écrit Les juifs et leurs mensonges. La tradition calviniste, se référant à la priorité de la grâce sur la foi, en parallèle à la fidélité de Dieu à l’Alliance scellée avec Abraham, ouvre un espace de fraternité avec les juifs.

Quelles sont les conséquences pour les relations avec le judaïsme ?

R. P. : Il est important de tourner résolument le dos aux lectures héritées des siècles passés consistant à revendiquer un passage de relais judaïsme-christianisme en forme de substitution d’alliance. Cela exige un travail théologique entre chrétiens et juifs, des rencontres qui nous ouvrent les uns aux autres. C’est une réalité vécue dans les groupes de l’Amitié judéo-chrétienne, concernant catholiques comme protestants, fondée après la guerre à l’initiative de Jules Isaac.

Propos recueillis par Danièle Gasse

Commentaires