D’une décennie à l’autre

Dieu ressurgit autrement

01 décembre 2016

Parler de Dieu, dans notre société sécularisée, c’est prendre des risques : être pris peut-être pour un fou, ou un fou de Dieu, un illuminé ou un gentil doux dingue. Pourtant certains chanteurs s’y sont hasardés, sans nécessairement compromettre leur carrière. Voyage à travers cinquante ans de chansons.

Dieu m’a donné la foi. Cette chanson d’Ophélie Winter avait fait beaucoup de bruit, en 1996, car elle évoque de façon directe la grâce, la conversion, la foi confiante. C’était une petite révolution cassant la frontière très marquée entre la chanson religieuse ou pieuse et la chanson dite populaire : celle-ci peut évoquer tous les sujets, mais pas Dieu, sinon pour s’en moquer. De fait, cette frontière n’est pas si marquée que ça. Dès les années 60-70, Johnny Halliday ou Mike Brant avaient chanté le fils du charpentier, Marie, ou confié C’est ma prière. Mais c’était la toute fin d’une civilisation de chrétienté où personne ne se culpabilisait d’évoquer le Noël de l’étable de Bethléem ou le Bon Dieu d’Hugues Auffray qui s’énervait dans son atelier. En deux décennies, Dieu a été expulsé globalement de la chanson, car il l’a été de la culture populaire.

(©Lucile)

De quel Dieu parlent-ils ?

L’étonnement que suscite la chanson d’Ophélie Winter est donc qu’elle ouvre la possibilité d’un discours presque confessant, dans une chanson non confessionnelle. Compagne de MC Solaar, elle est à bonne école puisqu’il tente aussi une réintégration du spirituel, et en particulier du divin, dans ses chants. Mais leur point commun est-il le Dieu de Muhammad, de Jésus ou de Moïse ? On ne sait pas très bien, marketing oblige. Là est la différence avec leurs prédécesseurs qui s’autorisaient à être plus explicites, à dire de quel « Dieu » ils parlaient. D’autres emboîteront le pas, comme Dany Brillant qui, en 1999, s’adresse à Dieu en lui demandant d’écouter sa prière.

Sujet clivant en France

Ces chants montrent que la spiritualité n’est jamais totalement expulsée de la pensée populaire. Pourtant, hormis quelques exceptions comme le Alléluia (1998) de Lara Fabian, peu de ces chants explicites percent dans le top 50, car parler de Dieu, c’est parler d’un dieu, et pas des autres. C’est comme prendre position politiquement. Encore plus rares sont ceux qui se hasardent, comme Alpha Blondy, le chanteur reggae, à interpeller Dieu pour les enfants israéliens et palestiniens qui se font massacrer (Dieu, 1994). Les années 1990 sont donc propices à cette expression, mais sans pas profusion : quelques poignées de titres, un des plus fameux étant celui de Francis Cabrel [Dieu] Assis sur le rebord du monde. Laurent Voulzy, avec son Jésus, clôturera cette décennie en douceur.

Seuls Michel Delpech ou à nouveau Francis Cabrel oseront, dans les années 2010, parler de Dieu. De façon surprenante, leur évocation du « crucifié de Golgotha » ou du Dieu humilié seront entendues, notamment par respect de la maladie ou de la souffrance à l’origine de ces chansons.

Le monde anglophone

Cette sobriété de l’évocation de Dieu dans le top 50 est francophone et française. Dans les cultures anglaise et américaine, c’est l’invasion, du rock au rap, du reggae au Rn’B. En 2003, les Black Eyed Peas fustigent le monde qui marche sur la tête et interpellent Dieu : « Père, Père, Père, aide-nous ; envoie-nous de l’aide d’en haut ; parce que les gens me taraudent de questions : “Où est passé l’Amour, où est passé l’amour”. Imaginerait-on, en France, des chanteurs aussi célèbres qu’un Justin Bieber s’afficher comme chrétiens pratiquants, jusque dans des paroles de chansons ? Le groupe U2 et son chanteur Bono mettent en musique, dans presque toute leur œuvre, des considérations explicitement bibliques, parlant très clairement de confiance en Dieu. Alors que si l’on trouve des évocations pointillistes chez tel ou tel auteur français, la grande majorité des textes sont polémiques, moqueurs ou farfelus, comme le Dieu est un fumeur de havanes de Serge Gainsbourg.

Dieu dépend des modes

Si l’un ou l’autre ouvre une brèche, d’autres peuvent s’y engouffrer. Des artistes comme Kenji Girac (gitan évangélique) ne cachent pas leur engagement chrétien. Percée de cette décade, quelques figures catholiques : Les Prêtres, Grégory Turpin. Et du côté protestant : Matt Marvane ou Emmanuel Djob, ancien leader des Black and White gospel singers et une des figures des Académies télévisuelles de musique. Plus qu’une résurgence de chansons explicitement ou objectivement chrétiennes, cette nouveauté augure l’arrivée de chanteurs, et donc de chansons, s’assumant paisiblement comme acquis aux réalités de la foi et de la prière, et pouvant chanter un amour pas forcément érotique, par exemple.

Des malentendus sur Dieu

Au chapitre des chants drôles ou stimulants, vous pouvez écouter sur internet le Dieubouddhallah des Wriggles, très iconoclaste et un peu trop vulgaire peut-être pour certains, Le jardinier dort de Charlélie Couture, Simples d’esprit de Sinsemilla, et l’incontournable (mais effrayant à bien y regarder) On ira tous au Paradis de Michel Polnareff. Mais gardez un œil sur les textes bibliques et l’autre sur les paroles de ces albums. Vous pourrez jouer au jeu des sept erreurs tant la majorité des chansons évoquant Dieu parlent d’un dieu tout autre que celui révélé dans la Bible. La palme revient au rappeur Stomy Bugsy « J’prie Dieu, quand j’suis dans la merde, il le sait, alors il m’laisse dedans… » (J’prie Dieu). À écouter et méditer.

Gilles BOUCOMONT
pasteur de l’Église protestante unie de France

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