Folles idées

Déserts pastoraux : quelles solutions ?

01 avril 2019

Dans certains secteurs de la région Ouest, la pénurie pastorale s’installe. Si les Églises locales supportent 2 à 3 ans d’absence pastorale, cela devient problématique au-delà. Au sentiment d’être délaissé s’ajoute l’incompréhension de voir toujours les mêmes Églises accueillir de nouveaux ministres. Quelles sont les causes ? Quelles solutions ? Nous risquons ici quelques réflexions iconoclastes.

© Théophile Robert
 
Lorsque la pénurie s’installe

Dans la région Ouest (mais c’est aussi le cas dans bien d’autres régions de l’EPUdF !), plusieurs Églises font face à une absence pastorale prolongée. Deux, trois, quatre, cinq années sans pasteur dans certaines Églises locales, au total plus de 10 % des foyers protestants de la région Ouest sont privés depuis plusieurs années d’une présence pastorale régulière. Et si l’on ajoute à ces situations les Églises dont le nombre de membres ne justifie plus la présence d’un pasteur à plein temps, on comprend pourquoi le sentiment d’une forme d’abandon s’exprime régulièrement. Et la question revient constamment sur la table du Conseil régional : où sont les pasteurs ? Comment se fait-il qu’une Église locale attende cinq ans ou plus pour qu’un ministre lui soit enfin envoyé ? Quelques explications.

Un trop faible nombre de ministres

La première explication n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, nous manquons de ministres. Le nombre de nouveaux ministres chaque année (à la sortie des instituts de formation) s’établit en moyenne à onze par an lorsqu’il en faudrait seize pour maintenir le nombre actuel de ministres en poste (chiffre de 2017). Chaque année, les départs en retraites sont plus nombreux que les arrivées de nouveaux ministres.

Des contraintes (exigences ?) plus grandes du côté des ministres.

La deuxième explication est que le corps pastoral de notre Église subit les mêmes influences sociétales que tous les métiers de services. L’aspiration à une vie privée mieux séparée de la vie professionnelle, le souhait d’une vie professionnelle moins contraignante, une exigence vis-à-vis du logement et du lieu de vie, l’attente d’un bon environnement professionnel pour le conjoint (pour des raisons économiques) etc.
En 2019, les conditions auxquelles aspirent les ministres pour l’exercice de leur ministère pastoral ne sont plus les mêmes que dans les années 50. Et il se pourrait bien que plusieurs implantations ecclésiales connaissent à cet égard quelques handicaps : forte ruralité, secteurs géographiques à faible activité économique, infrastructures publiques insuffisantes, attentes pastorales trop traditionnelles...

Une pénurie inégalement répartie

La troisième explication est que depuis plusieurs années, la pénurie pastorale dans l’EPUdF est inégalement répartie et nous n’avons pas trouvé les solutions pour infléchir la situation. Les régions Paris-Île-de-France et Provence-Corse-Côte d’Azur ne connaissent aucune pénurie pastorale. Au même moment, les régions Nord-Normandie, Centre Alpes-Rhône, Cévennes–Languedoc-Roussillon, Sud-Ouest, manquent de ministres.

L’impuissance de nos institutions ecclésiales

Enfin, la quatrième explication est que notre Église n’a aucun (presque aucun ?) pouvoir contraignant sur les mouvements des ministres. Son action repose essentiellement sur sa capacité d’appel et de persuasion, sur son autorité spirituelle, et parfois sur son droit de véto.
Comment faire, par exemple, lorsqu’un proposant impose d’être en Île-de-France ou dans telle grande ville au motif que son conjoint y travaille déjà ? La commission des ministères ou le Conseil régional concerné doivent-ils lui refuser l’accès au ministère pastoral ? Le risque serait grand de perdre alors des nouveaux ministres.
Que faire lorsqu’un ministre ayant visité une Église locale pose comme condition pour répondre à son appel que le conjoint trouve une situation professionnelle à proximité du territoire de l’Église ? Et que faire lorsqu’un ministre souhaite un poste à proximité d’une gare pour rejoindre rapidement la capitale ou une grande agglomération française au motif que le lien avec ses grands enfants en études supérieures est une condition non discutable ? Telle est la réalité. Une réalité devant laquelle notre Église se trouve bien démunie.
Mais faut-il nous résigner ? N’est-il pas temps d’oser quelques propositions pour l’avenir ? Nous le faisons ici, en partageant quelques pistes au risque d’être iconoclaste.

Une solidarité interrégionale mieux régulée

La première piste serait la mise en place d’un mécanisme de solidarité nationale pour que les régions décident d’un commun accord du nombre de postes ouverts chaque année au pourvoi pour essayer de créer un peu de « turn-over ». L’idée serait de veiller à ce qu’aucune région ou secteur géographique ne tombe en dessous d’un seuil minimum de présence pastorale. Nous pourrions travailler sur deux indicateurs : le nombre maximum de postes à pourvoir. Le nombre minimum (le seuil « vital ») de postes à pourvoir. Lorsqu’une région (ou un consistoire ?) tomberait en deçà de son seuil de viabilité, d’autres régions seraient incitées à « geler » des postes pour encourager prioritairement le pourvoi des postes dans le secteur ou la région fragilisée.
Dans le prolongement de cette solidarité, nous pourrions imaginer que les régions les mieux pourvues offrent du « temps pastoral » à d’autres régions en mettant à disposition des ministres volontaires pour effectuer des missions de quelques jours à quelques semaines dans des secteurs géographiques en souffrance.

Des compensations financières

La deuxième piste consisterait à mettre en place un dispositif d’accompagnement financier d’un foyer pastoral si le changement de poste entraînait une perte significative de revenus, notamment en cas de perte d’emploi du conjoint. Il appartiendrait au Synode national de fixer les règles du jeu pour déterminer le montant et y assortir une durée maximum.
Mais peut-être faudrait-il aller plus loin et imaginer, pour certains postes situés dans des territoires compliqués, une rémunération pastorale augmentée ?

La question du lieu de vie

Une troisième piste consisterait à remettre en cause l’obligation pour un ministre d’occuper le presbytère de son Église locale. Nous pourrions autoriser, pour des implantations particulières (secteurs ruraux, zones disséminées, secteur peu développé sur le plan économique) un ministre à habiter dans un lieu de son choix qui faciliterait la vie professionnelle du conjoint et la vie de famille ? La liberté serait laissée au ministre d’organiser au mieux ses déplacements et sa desserte pastorale.
Ces pistes matérielles permettraient-elles d’apporter des solutions aux « déserts pastoraux » ? Rien n’est sûr. Mais il vaudrait la peine d’en débattre.

Solidarité et compromis

Dans l’attente, reconnaissons que nos moyens d’action actuels sont limités. Nous cherchons les meilleurs compromis pour organiser les solidarités pastorales. Nous demandons aux Églises les mieux pourvues de se soucier des autres. Nous incitons les ministres à être solidaires au-delà de leur territoire tout en veillant à ne pas les user. Nous mettons en œuvre des solutions « sur mesure » pour accompagner au mieux chaque Église.L’amélioration de la situation passera à n’en pas douter par de nouvelles vocations pastorales. Mais les questions de fond sur les conditions de l’exercice du ministère pastoral se poseront toujours. Souhaitons que lorsque de nouveaux ministres arriveront au service de notre Église, il ne soit pas déjà trop tard en certains lieux ? Soli deo Gloria !

Guillaume de Clermont

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