Descendons aux jardins
L’exploration de ces jardins et des pensées qui les façonnent est le fil conducteur d’un cycle de conférences, projections cinématographiques, cultes et visites de jardins organisé en 2016-2017 par l’Atelier protestant, en collaboration avec la paroisse de Montparnasse-Plaisance sous le titre Jardins et spiritualités, du monde clos au jardin planétaire.
Les rapports que nous entretenons avec la terre en la cultivant pour la nourriture ou l’agrément ne sont pas simplement rationnels et techniques. Du jardinier amateur à l’agriculteur industriel en passant par le paysan traditionnel, des fleurs sur le balcon aux jardins royaux, ce sont à chaque fois des compréhensions du monde et de soi, des philosophies, voir des spiritualités qui s’expriment, même si elles ne sont pas formulées.
Les jardins bibliques
Comme beaucoup d’autres, les traditions bibliques témoignent de l’importance symbolique du jardin : l’épopée biblique commence dans le jardin d’Eden, planté par Dieu, où l’humain est à son tour institué jardinier ; et c’est dans le jardin urbain de la Jérusalem céleste que la fresque s’achève. Entre ces deux extrémités, le jardin du Cantique des cantiques, le jardin des Oliviers, Géthsémané et le jardin de Pâques où se promène un Christ-jardinier…
Les traditions bibliques héritent bien sûr des jardins moyen-orientaux qui, de Babylone à la Perse, ont inspiré notre paradis. Paradeisos, un mot grec dérivant du perse pardes qui désigne un espace luxuriant clos, un lieu d’agrément protégé où l’eau coule et où la nature dispense ses bienfaits.
À travers l’histoire
Cette symbolique se déploie au Moyen-Âge dans le jardin des cloîtres dont le puits central figure la source de vie et les allées qui en rayonnent, les quatre fleuves d’Eden irriguant la terre. De leur côté, les jardins d’amour, les allégories du jardin de l’âme et du clos marial s’inspirent du Cantique des cantiques.
La civilisation musulmane a elle aussi repris et développé l’art du jardin oriental comme lieu propice à la spiritualité. Une riche tradition qui a donné lieu cette année à l’exposition Jardins d’Orient, de L’Alhambra au Taj Mahal à l’Institut du monde arabe.
Sous d’autres horizons, plus orientaux encore, les jardins zen sont conçus comme des lieux où tout doit favoriser la méditation intérieure. Et la tradition philosophique n’est pas de reste, elle qui fait du jardin le lieu où, depuis l’Antiquité, on peut rencontrer la sagesse, le jardinage devenant métaphore de la réflexion du sage.
On le sait moins, mais la Réforme protestante fut elle aussi l’occasion de réflexions originales à propos des jardins. Inspirés par les récits bibliques de création, partageant l’émerveillement du Psaume 104, et dans la ligne de Calvin qui voyait dans le théâtre de la nature un don de la grâce, des réformés comme Bernard Palissy, Jean de Léry, Olivier de Serres ou Guillaume de Saluste ont imaginé et parfois expérimenté des approches novatrices de l’horticulture (Les jardins : utopie huguenote ? Foi & Vie n°3/2008).
Plus près de nous il y a les jardins classiques « à la française », puis le jardin romantique, ou le jardin anglais qui tend à donner l’illusion du naturel. Apparaît aussi le jardin botanique qui collectionne et classifie.
Une question contemporaine
Qu’ils soient lieux de spiritualité, de plaisir ou d’étude, qu’ils soient l’expression d’un rêve de maîtrise ou de la nostalgie du paradis perdu, tous ces jardins témoignent dans leur diversité de changements dans la compréhension du monde et les rapports à la création.
Sans doute sommes-nous aujourd’hui à un nouveau moment crucial de l’histoire multimillénaire des jardins. Les jardins partagés ou les potagers urbains se développent dans certains quartiers manifestant que la question des rapports à la terre nous est aujourd’hui posée de façon aigüe.