Aumônerie des hôpitaux

C’est Lui qui rassasie de biens ta vieillesse, Qui te fait rajeunir comme l’aigle (Psaume 103)

17 novembre 2016

J’ai été heureuse, me dit-elle avec ce je ne sais quoi de faussement rassurée. Cette phrase résonne en moi avec une grande interrogation. Pourquoi me parlez-vous au passé ? Elle semble consternée par ma question et me regarde. Silence. Puis comme une évidence : Je n’ai plus que ça à parler ! Madame P., lui dis-je, qu’entendez-vous par « Je n’ai que ça à parler » ? À mon âge, il ne reste plus que moi et une fille, mais elle n’habite pas là. Puis débridant sa parole, elle se laisse aller à partager son histoire, ses questions et ce terrible sentiment d’inutilité.

À travers ce récit de vie, j’entends comme une quête de sens, un besoin de scruter à la loupe les étapes de la vie où on peut se dire : J’ai fait des choses. Parfois cela va plus loin : J’ai été utile. Ces récits de soi, à la recherche d’une tranche de vie à peu près correcte, me remuent aux tripes. Le temps de vieillesse n’est-il qu’une longue condamnation et une complainte aux années passées ? Le bonheur n’est-il jamais là que lorsque nous sommes en bonne santé ? Qu’est-ce qui fait que le bonheur soit toujours passé ou pas encore là ? Dans les yeux inquiets de Madame P., j’entends cet étrange constat encore pas nommé : Le bonheur était là, dans l’ordinaire de mes jours, et je ne le savais pas. C’est certain, cette dame, dans la longueur de ses vieux jours, sa vitalité physique diminuée, nous rappelle cruellement que tout est donné. Mais je veux croire que cela l’est encore même dans l’ordinaire et dans la misère de nos jours. Ces questions qui surgissent souvent au plein du grand âge de manière plus aiguë quand le corps flanche ne sont pas si différentes de la quête du bonheur de tous nos contemporains en bonne santé et dans la force de l’âge. Et si la vie était possible à tout âge, même dans le dénuement le plus profond ? Et si cette vie était simplement consentir à la réalité, prendre avec sérieux chaque jour avec tout ce qu’il offre de rencontres possibles, où s’intéresser à l’autre nous rend bien plus vivants que d’être intéressants ? Un instant aurait alors le goût d’une éternité ; n’est-ce pas cela que l’Évangile appelle vie éternelle et que nous appelons bonheur ?

Emmanuelle Di Frenna-Peccarisi

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